Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/213

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perce l’âme et le cœur ! Il veut que je croie à l’athéisme ! Sache, blanc-bec, qu’avant ta naissance j’étais déjà comblé d’honneurs ! Toi, tu n’es qu’un ver rongé d’envie, coupé en deux, toussant.… crevant de méchanceté et d’impiété… Et pourquoi Gania t’a-t-il fait venir ici ? Tout le monde est contre moi, depuis les étrangers jusqu’à mon propre fils !

— Mais cessez donc de jouer la tragédie ! cria Gania : — si vous ne nous aviez pas déshonorés aux yeux de toute la ville, cela aurait mieux valu !

— Comment, je te déshonore, blanc-bec ? Toi ? Loin de te déshonorer, je ne puis que te faire honneur !

En prononçant ces mots, le général se leva brusquement ; il n’y avait plus moyen de le contenir, mais Gabriel Ardalionovitch était, lui aussi, hors de ses gonds.

— Et cela ose parler d’honneur ! observa le jeune homme avec un accent plein d’amertume.

Ardalion Alexandrovitch devint blême.

— Qu’est-ce que tu as dit ? demanda-t-il d’une voix tonnante, et il fit un pas vers son fils.

— Je n’aurais qu’à ouvrir la bouche pour… commença ce dernier d’un ton qui ne le cédait pas en violence à celui de son père, et il n’acheva pas.

Debout, en face l’un de l’autre, tous deux, Gania surtout, étaient pantelants de colère.

— Gania, que fais-tu ? cria Nina Alexandrovna qui s’élança pour arrêter le jeune homme.

— C’est absurde d’un côté comme de l’autre ! déclara avec indignation Varia ; — laissez, maman, ajouta-t-elle en jetant ses bras autour de Nina Alexandrovna.

— Je ne l’épargne que par égard pour ma mère, dit tragiquement Gania.

— Parle ! vociféra le général hors de lui : — parle, sous la menace de la malédiction paternelle… parle !

— J’ai bien peur de votre malédiction ! Et à qui la faute si, depuis huit jours, vous êtes comme un fou ? Depuis huit jours ; voyez-vous, je sais à quelle date cela a commencé…