Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/230

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rapportaient directement à ce cas unique… Je comprends cela et je ne me plains pas du tout.

— Lébédeff, on dirait que vous êtes fâché ?

— Nullement, pas le moins du monde, très-estimé et très-rayonnant prince ! s’écria avec exaltation Lébédeff en mettant la main sur son cœur ; — au contraire, j’ai compris tout de suite que ni par ma position dans le monde, ni par mon développement intellectuel et moral, ni par ma fortune, ni par mes antécédents, ni par mon savoir, — par rien enfin je ne méritais l’honneur de votre confiance ; et que, si je pouvais vous servir, c’était seulement comme esclave ; comme mercenaire, pas autrement… je ne suis pas fâché, mais triste.

— Allons donc, Loukian Timoféitch !

— Pas autrement ! Maintenant encore j’en ai la preuve ! Quand je vous ai rencontré, quand mon cœur et mon esprit se sont attachés à vous, je me disais : Sans doute je n’ai pas le droit d’attendre des communications amicales, j’en suis indigne, mais peut-être, comme propriétaire de la maison, pourrai-je recevoir, au moment voulu, un ordre ou un avis en vue de certains changements prochains et attendus…

En prononçant ces mots, Lébédeff tenait ses petits yeux fixés sur le visage du prince qui le considérait avec étonneraient ; l’employé espérait encore que sa curiosité serait satisfaite.

— Décidément je n’y comprends rien, cria le prince d’un ton presque irrité, — et… vous êtes un terrible intrigant ! ajouta-t-il tout à coup avec un franc éclat de rire.

Lébédeff s’associa aussitôt à cette hilarité ; ses yeux rayonnèrent : il croyait toucher à la réalisation de ses espérances.

— Et savez-vous ce que je vous dirai, Loukian Timoféitch ? Seulement, ne vous fâchez pas : j’admire votre naïveté et vous n’êtes pas le seul à m’étonner, d’ailleurs ! Tenez, en ce moment, vous témoignez un si naïf désir d’apprendre de moi quelque chose que, vraiment, je suis honteux de ne pouvoir vous satisfaire ; mais je vous jure que je n’ai absolument