Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/231

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rien à vous dire, pouvez-vous imaginer cela ? acheva le prince avec un nouveau rire.

Lébédeff prit un air digne. Sans doute sa curiosité se manifestait parfois trop naïvement et d’une façon importune, mais c’était aussi un homme assez rusé, il savait même dans certains cas garder un silence machiavélique. N’ayant pu arracher aucune confidence à son locataire, il en vint presque à le haïr. Assurément, si le prince se montrait si peu communicatif avec lui, ce n’était pas par mépris, mais parce que Lébédeff l’entreprenait sur un sujet fort délicat. Il n’y avait pas si longtemps que Muichkine considérait encore comme un crime de nourrir certains rêves. Mais sa réserve fut interprétée autrement par Loukian Timoféitch, qui n’y vit qu’une injurieuse marque de défiance ; l’employé se crut tenu en suspicion, et la jalousie lui mordit le cœur à la pensée que non-seulement Kolia et Keller, mais même sa propre fille, Viéra Loukianovna, avaient plus de part que lui à la confiance du prince. Peut-être en cet instant même aurait-il pu communiquer au prince une nouvelle du plus haut intérêt pour ce dernier, peut-être l’aurait-il sincèrement désiré, mais, par esprit de vengeance, il se décida à n’en rien faire.

— En quoi donc puis-je vous servir, très-estimé prince, car vous m’avez maintenant… appelé ? demanda-t-il après un silence.

Le prince ne répondit aussi qu’au bout d’une minute.

— Eh bien, voilà, je voulais vous parler du général, et… de ce vol dont vous avez été victime…

— Comment ? Quel vol ?

— Allons, on dirait que vous ne comprenez pas ! Ah ! mon Dieu, Loukian Timoféitch, quelle est cette rage de toujours jouer la comédie ? L’argent, l’argent, les quatre cents roubles que vous avez perdus l’autre jour dans un portefeuille, et dont vous êtes venu ici me parler, le matin, avant d’aller à Pétersbourg, — avez-vous compris, à la fin ?

— Ah ! il s’agit de ces quatre cents roubles ! dit d’une voix