Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/256

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quoi est-ce bon ? » Quant à Ivan Fédorovitch, naturellement il commença par s’étonner, mais ensuite il avoua tout à coup que « vraiment, lui-même avait cru aussi remarquer quelque chose de ce genre tous ces temps-ci… » Un regard sévère de son épouse lui ferma la bouche, mais, le soir, lorsqu’il se retrouva de nouveau en tête-à-tête avec Élisabeth Prokofievna, le père de famille, mis encore une fois dans la nécessité de parler, exprima soudain et avec une certaine assurance quelques idées assez inattendues : « Au fond, qu’est-ce qu’il y a ?… » (Silence). « Sans doute tout cela est fort étrange, si toutefois c’est vrai, ce que je ne conteste pas, mais… » (Nouveau silence). « Et, d’un autre côté, à considérer franchement les choses, le prince, en vérité, est un très-brave garçon, et… et… eh bien, enfin, il a un nom, un nom qui est le nôtre ; nous aurons l’air de relever, pour ainsi dire, notre nom de famille abaissé aujourd’hui, aux yeux du monde, s’entend, en se plaçant au point de vue mondain, car, sans doute, le monde… le monde est le monde ; mais, après tout, le prince n’est pas non plus sans fortune, en supposant même qu’il ne soit pas fort riche. Il a quelque chose et… et… et… » (cette fois, le général se tut définitivement). Après avoir entendu son mari, Élisabeth Prokofievna entra dans une violente colère.

Suivant elle, tout ce qui avait eu lieu était « une sottise impardonnable, criminelle même, un tableau fantastique, bête et absurde. Ce princillon était d’abord un malade atteint d’idiotisme, ensuite un imbécile ; il n’avait ni connaissance du monde, ni place dans la société : à qui le montrer, où le caser ? Il était démocrate comme il n’est pas permis de l’être, il ne possédait pas même le plus petit tchin, et… et… que dirait la vieille Biélokonsky ? Et puis, était-ce un pareil mari que nous rêvions pour Aglaé ? » Ce dernier argument était, comme de juste, le principal. Le cœur de la mère saignait à cette pensée, mais en même temps dans son for intérieur une voix secrète lui disait : « Que manque-t-il donc au prince pour être un parti acceptable ? Et ce qui tra-