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rêves d’avenir et de joie, je songeais que peut-être je n’étais pas un étranger -bas. Je me sentais tout d’un coup fort content d’être dans mon pays. Par une matinée ensoleillée, j’ai pris la plume et je lui ai écrit une lettre. Pourquoi à elle ? — je n’en sais rien. Parfois le besoin d’un être aimé se fait sentir ; j’étais évidemment dans un de ces moments-là… ajouta le prince après un silence.

— Tu es amoureux d’elle, n’est-ce pas ?

— N-non. Je… je lui ai écrit comme à une sœur ; j’ai même signé : « votre frère ».

— Hum ! tu l’as fait à dessein ; je comprends.

— Il m’est fort pénible de répondre à ces questions, Élisabeth Prokofievna.

— Je le sais, mais cela m’est tout à fait indifférent. Écoute, dis-moi la vérité comme devant Dieu : mens-tu ou ne mens-tu pas ?

— Je ne mens pas.

— C’est bien vrai que tu n’es pas amoureux d’elle ?

— Je crois que c’est absolument vrai.

— « Il croit » ! C’est un gamin qui a remis ta lettre ?

— J’ai prié Nicolas Ardalionovitch…

— Un gamin ? un gamin ? interrompit avec colère Élisabeth Prokofievna : — je ne veux pas savoir s’il y a un Nicolas Ardalionovitch ! Un gamin ?

— Nicolas Ardalionovitch…

— Un gamin, te dis-je !

Le prince répondit avec fermeté, sans trop élever la voix pourtant :

— Non, pas un gamin, mais Nicolas Ardalionovitch.

— Allons, c’est bien, mon cher, c’est bien ! Je porterai cela à ton compte.

Elle s’arrêta une minute pour calmer son agitation et reprendre haleine.

— Et qu’est-ce que c’est que le « Chevalier pauvre » ?

— Je ne le sais pas du tout ; je ne suis pour rien là-dedans ; c’est quelque plaisanterie.