Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reviendrait peut-être pas avant trois jours. Comme précédemment, la domestique considéra le visiteur avec une curiosité étrange ; cette circonstance le troubla. Moins heureux que le matin, il ne put dans le cas présent trouver le dvornik. Au sortir de la maison, le prince, ainsi qu’il l’avait fait tantôt, passa de l’autre côté de la rue et leva les yeux vers les croisées : pendant une demi-heure, peut-être même plus longtemps, il se promena sur le trottoir, où la chaleur était insupportable. Cette fois, rien ne bougea ; les fenêtres ne s’ouvrirent pas, les stores blancs restèrent baissés. Il s’arrêta définitivement à l’idée que, le matin, il avait été dupe d’une illusion ; d’ailleurs, vu le peu de transparence des vitres qui n’avaient pas été lavées depuis longtemps, en supposant même que quelqu’un se fut trouvé effectivement derrière la fenêtre, il aurait été fort difficile de distinguer son visage. Rassuré par cette pensée, le prince revint à Izmaïlovsky Polk, où l’outchitelcha l’attendait.

Cette dame était déjà allée dans trois ou quatre endroits, notamment chez Rogojine, mais toutes ses démarches étaient restées infructueuses : nulle part elle n’avait rien appris. Le prince l’écouta en silence, entra dans la chambre, s’assit sur un divan et se mit à regarder tout le monde, comme un homme qui ne comprend pas de quoi on lui parle. Chose étrange, tantôt il était extraordinairement attentif, tantôt il devenait soudain distrait à un point incroyable. Tous les membres de la famille racontèrent ensuite qu’il les avait étonnés ce jour-là par sa bizarrerie ; « c’était peut-être déjà la maladie qui se manifestait », ajoutèrent-ils. À la fin, il se leva et demanda à voir le logement de Nastasia Philippovna. Cet appartement se composait de deux grandes chambres, claires, hautes et meublées très-convenablement, quoiqu’elles ne fussent pas louées cher. À ce que dirent plus tard les trois dames, le visiteur examina chacun des objets contenus dans ces deux pièces. Il y avait un livre ouvert sur une petite table, c’était un roman français, Madame Bovary. L’ayant aperçu, il corna la page à l’endroit où le volume était ouvert,