Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/385

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demanda la permission de l’emporter, et le mit immédiatement dans sa poche, bien qu’on lui eût fait observer que ce livre provenait d’un cabinet de lecture. Il s’assit près d’une fenêtre qui était ouverte et, remarquant une petite table de jeu couverte de chiffres tracés à la craie, il voulut savoir qui avait joué. Les dames lui apprirent que, depuis le retour de Nastasia Philippovna à Pétersbourg, elle et Rogojine jouaient chaque soir aux douraki, à la préférence, aux melniki, au whist, etc. ; elles expliquèrent aussi comment l’idée de ce passe-temps était venue à Rogojine : Nastasia Philippovna disait toujours qu’elle s’ennuyait, parce qu’il ne savait pas causer et restait des soirées entières sans ouvrir la bouche ; un jour, en arrivant, il tira de sa poche un jeu de cartes. Nastasia Philippovna sourit et ils se mirent à jouer, Le prince demanda où étaient les cartes dont ils se servaient. Mais il n’y avait pas de cartes dans l’appartement ; chaque jour Rogojine arrivait ayant en poche un jeu neuf qu’ensuite il emportait avec lui. Suivant l’avis des dames, il fallait retourner encore une fois chez Parfène Séménitch et cogner plus fort que jamais ; seulement ce n’était pas tout de suite, mais dans la soirée que le prince devait faire cette dernière tentative : « peut-être arriverait-on à un résultat ». L’outchitelcha annonça qu’elle allait elle-même se rendre à Pavlovsk : il se pouvait, pensait-elle, que Daria Alexievna sût quelque chose. En tout cas, on pria le prince de revenir à dix heures du soir, parce qu’on voulait s’entendre avec lui sur les démarches à faire dans la journée du lendemain. Malgré toutes les bonnes et consolantes paroles qui lui furent prodiguées, il était complètement désespéré. En proie à un chagrin inexprimable, il regagna à pied son traktir. Pétersbourg si poussiéreux, si étouffant en été, le serrait comme dans des tenailles ; chemin faisant, il rencontrait des gens du peuple dont il examinait machinalement les faces mornes ou avinées ; peut-être allongea-t-il de beaucoup sa route ; le jour baissait lorsqu’il entra dans sa chambre. Il résolut de se reposer un peu et de retourner ensuite chez