Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/390

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près de la porte en marchant sur la pointe des pieds, et je t’ai entendu causer avec Pafnoutievna. Mais, dès le point du jour, je lui avais donné mes instructions : quelque visiteur qui se présentât pour me voir, que ce fût toi, ou quelqu’un venant de ta part, ou enfin n’importe qui, elle avait ordre de répondre que j’étais absent ; cette consigne s’appliquait surtout à toi, je t’avais nommé à Pafnoutievna. Lorsque tu es sorti, je me suis dit : « Maintenant il va peut-être se mettre en observation dans la rue, rester aux aguets » ; je suis venu à cette même fenêtre, j’ai écarté le rideau, et je t’ai vu debout là, devant moi ; tu me regardais… Voilà comme cela s’est fait.

— Où donc est… Nastasia Philippovna ? articula le prince d’une voix étranglée.

— Elle est… ici, répondit lentement Rogojine après une seconde d’hésitation.

— Où donc ?

Rogojine leva les yeux sur son interlocuteur et le considéra attentivement :

— Viens avec moi.

Sa voix était toujours lente et basse, sa physionomie restait étrangement pensive. Nonobstant la franchise avec laquelle il avait raconté l’histoire du store, en faisant ce récit il avait semblé sous-entendre quelque chose.

Ils entrèrent dans le cabinet. Cette pièce avait subi une certaine transformation depuis la visite du prince. Un épais rideau de soie verte, tendu d’un bout à l’autre de la chambre, masquait une alcôve où se trouvait le lit de Rogojine ; il existait une entrée de chaque côté, mais en ce moment elles étaient fermées toutes deux et le lourd rideau était baissé. Il faisait fort sombre dans le cabinet ; les nuits « blanches » de l’été pétersbourgeois commençaient à être moins claires et, n’eût été la pleine lune, on aurait pu difficilement, avec les stores baissés, distinguer quelque chose dans l’obscur appartement de Rogojine. À la vérité, les visages des deux hommes se laissaient encore deviner, sinon apercevoir net-