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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/69

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— Sérieusement ? Ainsi vous êtes poltron ?

— N-non, ce serait peut-être trop dire, répondit le prince et, réfléchissant, il ajouta avec un sourire : — le poltron est celui qui a peur et qui se sauve ; mais celui qui a peur et qui ne se sauve pas, celui-là n’est pas encore tout à fait un poltron.

— Vous ne vous sauverez pas, vous ?

— Peut-être que non, dit-il gaiement.

Les questions d’Aglaé avaient fini par le faire rire.

— Moi, quoique je sois une femme, certainement je ne me sauverais pas, observa-t-elle d’un air froissé. — Mais, du reste, vous vous moquez de moi et vous faites des grimaces selon votre habitude, pour vous rendre plus intéressant ; dites-moi, on se bat ordinairement à douze pas ? Quelquefois même à dix ? Alors on doit nécessairement être tué ou blessé ?

— Dans les duels, il arrive sans doute rarement qu’on soit atteint.

— Rarement ? Qu’est-ce que vous dites ? On a tué Pouchkine.

— C’est peut-être par hasard.

— Pas du tout ; c’était un duel à mort, et il a été tué.

— La balle l’a atteint si bas que certainement Dantès a dû viser plus haut, à la poitrine ou à la tête ; personne ne tire comme il a tiré ; par conséquent, le plus probable, c’est que Pouchkine a été touché accidentellement ; il ne devait pas être atteint. Voilà ce que m’ont dit des hommes compétents.

— Et moi, un soldat avec qui j’ai causé une fois m’a dit qu’en vertu des règlements militaires, on leur ordonne, quand ils se déployent en tirailleurs, de viser à mi-corps. Ainsi ce n’est pas à la poitrine, ni à la tête. J’ai ensuite questionné un officier, et il m’a confirmé ce que m’avait dit le soldat.

— Oui, parce qu’ils tirent à une grande distance.

— Mais vous savez tirer ?