Page:Dostoïevski - La logeuse, suivi de deux histoires (2e édition), 1920.djvu/96

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père et l’embrassai tendrement. Ensuite nous sommes montés dans le bateau. Il prit les rames et bientôt nous perdîmes de vue la rive. Quand nous fûmes ainsi éloignés, il abandonna les rames et regarda tout autour.

» Bonjour », dit-il, « ma mère, rivière nourrice du monde, et ma nourrice ! Dis-moi, as-tu gardé mon bien en mon absence ? Est-ce que mes marchandises sont intactes ? » Je me taisais et baissais les yeux. Mon visage était rouge de honte. « Prends tout, si tu veux, mais fais-moi la promesse de garder et chérir ma perle inestimable… Eh bien, dis au moins un mot, ma belle ! Éclaire ton visage d’un sourire ! Comme le soleil, chasse la nuit sombre… » Il parle et sourit. Je voulais dire un mot… J’avais peur. Je me tus. « Eh bien, soit ! », répondit-il à ma timide pensée. « On ne peut rien obtenir par la force. Que Dieu te garde, ma colombe. Je vois que ta haine pour moi est la plus forte… » Je l’écoutais. La colère me saisit et je lui dis : « Oui, je te hais, parce que tu m’as souillée pendant cette nuit sombre et que tu te moques encore de mon cœur de jeune fille… » Je dis et ne pus retenir mes larmes. Je pleurai. Il se tut, mais me regarda de telle façon que je tremblai comme une feuille. « Écoute, ma belle », me dit-il, et ses yeux brillaient merveilleusement ; « ce