Page:Dostoïevski - Le Bouffon (paru dans l'Almanach illustré), 1848.djvu/14

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absolument comme un gamin, vous dis-je : c’est comme si, caché derrière le fauteuil de la grand’mère, j’avais voulu l’effrayer en hurlant dans son oreille. Oui !… j’ai honte de raconter tout cela…

– Allons, allons, continuez !

Des voix s’élevaient de tous côtés.

– Cela en fit du bruit, Messieurs. On criait que j’étais un espiègle, un gamin, que je leur avais fait peur. C’était doux, mes amis, et si familier que j’en eus honte, me disant : « Comment peuvent-ils recevoir un pécheur pareil dans un lieu aussi sacré ! »

— Oh ! mon cher ! s’écria soudain Madame la conseillère, m’en as-tu fait une peur ! j’en tremble encore ! J’ai couru vite voir Marie pour lui dire : « Regarde donc ce qu’il fait, ton Osip ! » J’ai eu des remords de t’avoir reçu si mal hier soir. J’en étais toute navrée.

Je fus sur le point de tomber à genoux devant elle. Les larmes recommencèrent, et des embrassades, et des plaisanteries à n’en plus finir. Théodose Nikolaievitch, lui aussi, s’était mis de la partie, et voulut nous servir un poisson d’avril de sa façon : « Un oiseau d’or est arrivé avec un bec en diamant, et, dans ce bec, il tenait une lettre. » Il se moquait de moi. Tout le monde se mit à rire, et la joie était générale… Pff !… j’ai même honte de vous raconter cela !…

Maintenant, Messieurs, nous approchons de la fin. Nous avions ainsi vécu une journée, deux… une semaine ; j’étais considéré comme un fiancé en titre. On commanda les alliances, on allait fixer le jour du mariage, mais on ne voulait pas publier les bans tout de suite, car on attendait un inspecteur qui devait venir de Pétersbourg. Comme ce fonctionnaire retardait mon bonheur, je l’attendais avec une impatience fébrile. « Ah ! si on pouvait s’en débarrasser au plus vite ! » me dis-je.

Profitant de ce désarroi, Théodose Nikolaievitch m’avait mis toutes ses affaires sur les bras : comptes, rapports, vérifications des livres, additions. Le désordre dans