Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/66

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Le lientenant ne répond rien, sourit d’un sourire meurtrier et s’écarte. Ainsi rembarré, M. Goliadkine tente à nouveau la chance et le voici qui s’adresse à un personnage très important, qui porte autour du cou une très grosse décoration. Mais le conseiller le toise d’un regard si glacial qu’il semble à M. Goliadkine qu’on lui verse sur la tête un seau d’eau froide. M. Goliadkine ne parlera plus. Il vaut mieux, pense-t-il, n’engager aucune conversation. Il aura l’air d’être là, comme n’importe qui, le plus naturellement du monde.

Aussi fixe-t-il les yeux sur les pans de son uniforme. Mais bientôt il relève la tête et se met à considérer un monsieur très respectable.

« Ce monsieur a une perruque, pense M. Goliadkine ; si on lui ôtait sa perruque, son crâne serait nu, nu comme la paume de ma main. »

Ainsi déduit M. Goliadkine et il pense aussi que si l’on enlevait aux émirs arabes le turban vert qui indique leur parenté avec Mahomet, leur tête apparaîtrait de même dénudée de ses cheveux. Par association d’idées, M. Goliadkine arrive aux pantoufles turques, et, fort à propos, il se souvient que les souliers d’André Philippovitch ressemblent plus à des pantoufles qu’à des souliers. Visiblement M. Goliadkine se familiarise avec sa situation.

« Voici, pense-t-il, si ce lustre venait à tomber, je me précipiterais aussitôt pour sauver Clara