Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/88

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sion inconvenante à la soirée de la veille. Il avait même résolu de ne pas échanger avec ses camarades les phrases habituelles de politesse, les « comment allez-vous », etc. Mais il sentit bien que cela ne pouvait durer. À l’inquiétude et à l’ignorance il avait toujours préféré le désagrément de connaître un fait pénible. Aussi, malgré la parole qu’il s’était donnée de rester à l’écart et de ne faire attention à rien, M. Goliadkine levait-il parfois la tête, en cachette, doucement, et épiant à droite, épiant à gauche, tâchait à lire sur les physionomies de ses camarades. Il veut savoir, à les regarder, si rien ne s’est tramé contre lui, rien de nouveau, rien de particulier, rien de caché. Il imagine un lien étroit entre les événements de la veille et les attitudes d’aujourd’hui. Enfin, dans son ennui, il désire, n’importe comment, une solution ; une solution rapide, même au prix d’un malheur. Le destin a pris M. Goliadkine au mot. Il n’avait pas eu le temps d’exprimer ce désir intérieur que ses doutes étaient aussitôt dissipés, de la façon la plus étrange et la plus inattendue…

La porte de la pièce voisine grinça doucement et timidement, comme pour annoncer qu’elle livrait passage à un personnage tout à fait insignifiant. Un visage quelconque, bien connu d’ailleurs de M. Goliadkine, parut timidement devant la table où lui-même était assis. M. Goliadkine ne leva pas la tête ; il regarda ce