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le joueur

Je gravis vivement mes trois étages et j’ouvris la porte. Paulina était toujours là, sur le divan, les mains croisées sur la poitrine. Elle me regarda avec étonnement, et, certes, je dus lui paraître étrange. Je mis devant elle et posai sur la table tout mon argent.


XV


Elle me regardait fixement, sans bouger.

— J’ai gagné deux cent mille francs, prononçai-je en jetant les derniers rouleaux sur la table.

Le tas de billets et les pièces couvraient la table. Je ne pouvais les quitter des yeux. J’en oubliais Paulina elle-même. J’essayais de les mettre en ordre, puis je mêlais tout, puis je me mettais à marcher à travers la chambre, rêveur, puis je recommençais à compter. Tout à coup, je me jetai vers la porte, que je fermai à double tour, et, allant me planter devant ma petite valise :

— Si j’enfermais tout ça là-dedans jusqu’à demain ? Jusqu’à demain, répétai-je en me tournant vers Paulina.

Je m’étais souvenu d’elle en cet instant même. Paulina restait toujours immobile, me suivant des yeux. Étrange était l’expression de son visage, une expression désagréable. Il y avait de la haine dans son regard.

Je m’approchai d’elle.

— Paulina, lui dis-je, voici vingt-cinq mille florins, plus de cinquante mille francs. Jetez-les-lui demain à la figure.

Elle ne me répondit pas.

— Si vous voulez, je les lui porterai moi-même, demain, de bonne heure. Voulez-vous ?

Elle se mit à rire, et elle rit longtemps. Je la regardais avec stupeur, avec douleur. C’était le rire qu’elle affectait