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le joueur

à l’ordinaire quand je lui faisais mes déclarations les plus passionnées. Elle cessa enfin, devint morne et me regarda en dessous.

— Je ne veux pas de votre argent, dit-elle avec mépris.

— Pourquoi ? Pourquoi donc, Paulina ?

— Je ne veux rien pour rien.

— Je vous l’offre en ami, je vous offre aussi… ma vie.

Elle me jeta un long et perçant regard, comme si elle eût voulu lire au fond de mes pensées.

— Vous payez bien ! reprit-elle en souriant. La maîtresse de Grillet ne vaut pas cinquante mille francs.

— Paulina, pouvez-vous me parler ainsi ? Suis-je donc un de Grillet ?

— Je vous hais ! Oui !… oui !… Je ne vous aime pas plus que de Grillet, s’écria-t-elle les yeux enflammés.

Elle cacha ensuite son visage dans ses mains et fut prise d’une crise de nerfs. Je me précipitai vers elle.

Je compris que, pendant mon absence, quelque chose d’anormal avait dû lui arriver. Elle était comme folle.

— Achète-moi, veux-tu ? veux-tu ? Pour cinquante mille francs comme de Grillet ? criait-elle d’une voix entrecoupée de sanglots.

Je la pris dans mes bras, je baisai ses mains, ses pieds ; j’étais agenouillé devant elle.

La crise passa.

Revenue à elle, elle posa ses deux mains sur mes épaules, et m’examina avec attention. Elle m’écoutait ; mais, visiblement, elle n’entendait pas ce que je lui disais. Son visage était devenu soucieux. Je craignais pour elle ; il me semblait que son intelligence se troublait. Tantôt elle m’attirait doucement vers elle et me souriait avec confiance ; tantôt elle me repoussait, et, de nouveau, m’examinait d’un air désespéré.

Tout à coup elle m’étreignit.

— Mais tu m’aimes ? tu m’aimes ? demandait-elle. Tu