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le joueur

as donc voulu… te battre avec le baron pour moi ? …

Elle s’interrompit et se mit à rire comme si une idée comique lui avait passé par la tête. Elle pleurait et riait à la fois. Que faire ? Je me sentais venir la fièvre. Je ne comprenais plus ce qu’elle me disait. C’était une sorte de délire, comme si elle eût voulu me raconter tout en très peu de mots, un délire interrompu de folles gaietés qui m’épouvantaient,

— Non, non ! Tu es ma joie, répétait-elle, tu m’es fidèle, toi.

Et elle posait de nouveau ses mains sur mes épaules, me regardant au fond des yeux, et répétait :

— Tu m’aimes ! Tu m’aimes !… Tu m’aimeras ?

Je ne la quittais pas des yeux. Je ne l’avais jamais vue dans un tel accès d’amour. C’était du délire, il est vrai, mais… Elle souriait malicieusement à mon regard passionné. Tout à coup, à brûle-pourpoint, elle se mit à parler de M. Astley ; elle répétait sans cesse : « Qu’il attende ! qu’il attende ! » et me demandait si je savais qu’il était là sous la fenêtre.

— Oui, oui, sous la fenêtre. Ouvre. Regarde. Il y est ?

Elle me poussait vers la fenêtre ; mais aussitôt que je faisais un mouvement pour me lever, elle éclatait de rire et recommençait à m’étreindre.

— Nous partirons, nous partirons demain, dit-elle tout à coup.

Elle resta songeuse.

— Qu’en penses-tu ? Atteindrons-nous la babouschka ? Qu’en penses-tu ? Je crois que nous la trouverons à Berlin. Que crois-tu qu’elle dise en nous voyant ? Et M. Astley ?… Ce n’est pas lui qui sauterait du haut du Schlagenberg ! Qu’en penses-tu ?

Elle se mit à rire.

— Écoute. Sais-tu où il ira l’été prochain ? Au pôle Nord ! pour des recherches scientifiques ! et il me proposait de l’accompagner ! Ha ! ha ! ha ! ha ! Il dit que nous