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de moi ; je lui dis que je ne pouvais plus vivre chez la babouschka, que je m’enfuirais, que je ne voulais plus être épinglée et que je le suivrais, qu’il le voulût ou non, que j’irais avec lui à Moscou, que je ne pouvais vivre sans lui.

La honte, l’amour, l’orgueil, tout parlait en même temps en moi. Je tombai presque évanouie sur le lit ; je craignais tant un refus ! Après un silence, il se leva, vint à moi et prit ma main.

— Ma chère Nastenka… il avait des larmes dans la voix, je vous jure que si jamais je puis me marier, je ne demanderai pas de bonheur à une autre que vous. Je pars pour Moscou et j’y resterai un an ; j’espère y arranger mes affaires. Quand je reviendrai, si vous m’aimez toujours, nous serons heureux. Maintenant c’est impossible, je ne puis m’engager, je n’en ai pas le droit ; mais si, même après plus d’un an, vous me préférez à tout autre, je vous épouserai. D’ailleurs je ne veux pas vous enchaîner par une promesse ; acceptez la mienne et ne m’en faites pas.

Voilà, et le lendemain il partit ; nous décidâmes ensemble de ne pas faire de confidences à la babouschka ; il le voulut ainsi… Mon histoire est presque finie. Un an s’est passé depuis son départ. Il est arrivé, il est ici depuis trois jours, et… et…

— Et quoi ? m’écriai-je, impatient de savoir la fin.

Elle fit effort pour me répondre et parvint à murmurer :

— Rien, pas vu.

Elle baissa la tête et, soudain, se couvrit les yeux de ses mains et éclata en sanglots si douloureux que mon cœur se serra. Je ne m’attendais pas du tout à une telle fin.

— Nastenka ! commençai-je d’une voix timide, ne pleurez pas, que savez-vous ? Peut-être il n’est pas venu.

— Il est ici, il est ici ! interrompit Nastenka. La veille