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— Mais cette lettre.

— Je l’écrirais ainsi : « Monsieur… »

— C’est absolument nécessaire ce « monsieur » ?

— Absolument. Pourtant, je pense…

— Eh bien ! après ?

— « Monsieur, pardonnez-moi si… » Pourtant non ! il ne faut aucune excuse ! Le fait par lui-même excuse tout. Mettez tout simplement : « Je vous écris. Pardonnez-moi mon impatience, mais pendant toute une année j’ai été heureuse en espérance. Ai-je tort de ne pouvoir supporter à présent même un jour de doute ? Peut-être vos intentions sont-elles changées. Dans ce cas je ne récriminerais point, je ne vous accuse pas, je ne suis pas la maîtresse de votre cœur, vous êtes un homme noble, ne riez pas de moi, ne vous fâchez pas. Rappelez-vous que c’est une pauvre jeune fille qui vous écrit sans personne pour la guider, et pardonnez-lui que le doute se soit glissé en elle. Vous êtes certes incapable d’offenser celle qui vous a aimé et qui vous aime… »

— Oui, oui, c’est bien cela ! c’est bien ce que je pensais écrire ! s’écria Nastenka. La joie brillait dans ses yeux. Oh ! vous avez résolu tous mes doutes. C’est Dieu lui-même qui vous envoie. Merci, merci !

— Merci de quoi ? de ce que Dieu m’a envoyé !

— Oui, même de cela.

— Ah ! Nastenka, il y a donc des gens que nous remercions d’avoir seulement traversé notre vie !… Mais c’est à moi à vous remercier de ce que je vous ai rencontrée et du souvenir immortel que vous me laisserez.

— Allons, assez… Nous avions donc décidé qu’à peine revenu, il me ferait savoir son retour par une lettre qu’il laisserait pour moi chez certains de nos amis qui ne se doutent de rien. Ou bien, s’il ne peut m’écrire, car il y a des choses qu’on ne peut pas dire dans une lettre, le jour même de son arrivée, il doit être ici à dix heures du soir, ici même. Eh bien, je sais qu’il est arrivé, voilà le troi-