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le joueur

tout cela me dégoûte ! Comme je les planterais là volontiers, tous ! Mais puis-je laisser Paulina ? Puis-je cesser d’espionner autour d’elle pour essayer de la sauver ? L’espionnage, certes, est vil : qu’est-ce que ça me fait ?

M. Astley m’a paru aussi très anxieux. Il est certainement amoureux de Paulina. Que de choses parfois peut dire le regard d’un homme timide quand l’amour l’a touché ! C’est curieux et risible. Assurément, cet homme préférerait se cacher sous terre que de laisser entendre par un mot ce que son regard dit si clairement. M. Astley nous rencontre souvent à la promenade, il se découvre et passe, bien qu’il meure, cela va sans dire, du désir de se joindre à nous. L’invite-t-on, il refuse aussitôt. À la gare, à la musique, il s’arrête à quelque distance de nous, et si on lève les yeux pour regarder autour de soi, on est sûr de découvrir, dans le sentier le plus voisin ou derrière quelque bouquet d’arbres, un morceau de M. Astley.

Jusqu’ici, je pensais qu’il cherchait depuis longtemps l’occasion de me parler. Ce matin, nous nous sommes rencontrés et nous avons échangé quelques mots. Sans même m’avoir dit bonjour, il a commencé par cette phrase :

— J’ai vu beaucoup de femmes comme Mlle  Blanche.

Il se tut et me regarda significativement. Que voulait-il dire ? Je ne sais ! Car à ma question : Qu’entendez-vous par là ? il hocha la tête d’un air fin et répondit :

— C’est comme ça… Mlle  Paulina aime beaucoup les fleurs ?

— Je n’en sais rien.

— Comment ! vous ne savez même pas cela ?

— Mon Dieu, non !

— Hum ! cela me donne à penser.

Puis il me salua de la tête et s’éloigna.