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le joueur

Deux minutes après, deux pensées me saisirent. La première, qu’on faisait une tragédie de toutes ces bagatelles, pourquoi ? La seconde, que le petit Français avait décidément sur Paulina une étrange influence. Il suffit d’un mot de lui, elle fait tout ce qu’il veut. Elle écrit, elle descend jusqu’à me prier ; naturellement, leurs relations sont très mystérieuses. Elles ont été telles dès le premier jour, mais, depuis quelque temps, j’observe que Paulina me méprise davantage ; son mépris va jusqu’au dégoût. Et j’ai observé aussi que de Grillet la regarde à peine ; il est tout juste poli ; cela signifie tout simplement qu’il la tient, qu’il la domine, qu’il l’a enchaînée…


VIII


À la promenade, comme on dit ici, c’est-à-dire dans l’allée des Châtaigniers, j’ai rencontré mon Anglais.

— Oh ! oh ! fit-il en m’apercevant, j’allais chez vous et vous alliez chez moi ! Vous avez donc quitté les vôtres ?

— Dites-moi d’abord comment vous êtes au courant de cette affaire ? Tout le monde s’en occupe donc ?

— Oh ! non, il n’y a pas de quoi occuper tout le monde. Personne n’en parle.

— Comment le savez-vous, alors ?

— Un hasard… Et où pensez-vous aller ? Je vous aime, et voilà pourquoi j’allais chez vous.

— Vous êtes un excellent homme, monsieur Astley, lui dis-je. — J’étais pourtant très intrigué de le voir si bien informé. — Au fait, je n’ai pas encore pris mon café, j’espère que vous ne refuserez pas d’en prendre avec moi ? Allons donc au café de la gare. Nous causerons en fumant, je vous conterai tout, et… vous me conterez aussi…

Le café était à cent pas. Nous nous installâmes, j’allu-