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le joueur

« Ah ! ah ! ils s’écrivent ! » Je courus, cela va sans dire, chez M. Astley. Il n’était ni à son hôtel ni à la gare. Enfin, je le rencontrai au milieu d’une cavalcade d’Anglais et d’Anglaises. Je lui fis signe ; il s’arrêta, et je lui remis la lettre. Nous n’eûmes pas même le temps de nous regarder ; mais je soupçonne M. Astley d’avoir fouetté exprès son cheval.

Étais-je torturé par la jalousie ? En tout cas mon humeur était exécrable. Je n’aurais pas voulu connaître le sujet de leur correspondance. Un ami ! pensai-je, c’est clair… Un amant ?… Certainement non, me disait la raison. Mais la raison est peu de chose dans ces sortes d’affaires. Il y avait encore un point à élucider ; l’affaire se compliquait.

À peine eus-je le temps de rentrer à l’hôtel que le concierge et le majordome m’informèrent qu’on était déjà venu me chercher trois fois de la part du général. Chez le général, je trouvai, outre le général lui-même, de Grillet et Mlle  Blanche, celle-ci sans sa mère. Décidément, cette mère n’était qu’un personnage de parade. Tous les trois discutaient avec chaleur ; la porte du cabinet, chose anormale, était fermée. J’entendis, avant d’entrer, de Grillet qui parlait à haute voix et d’un ton persifleur ; Mlle  Blanche avait le verbe injurieux ; le général suppliait, son accent était larmoyant. À ma vue, ils se turent subitement. De Grillet sourit tout à coup, de ce sourire français, officiellement aimable, que je déteste. Le général se redressa machinalement. Seule Mlle  Blanche conserva sa physionomie irritée ; pourtant elle fixa sur moi un regard d’attente impatiente. D’ordinaire elle faisait semblant de ne pas me voir.

— Alexis Ivanovitch, commença le général avec une bienveillance marquée, permettez-moi de vous déclarer qu’il est étrange, très étrange…, en un mot, que votre conduite à mon égard et à l’égard de toute ma famille…, en un mot, c’est étrange, excessivement étrange…