Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/21

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touché le fin fond de l’infamie, que c’était bien ignoble, mais qu’il ne pouvait en être autrement, que je n’avais aucune issue pour m’échapper de là et devenir un autre homme, que même s’il m’était resté et la foi et le temps de me refaire, je ne l’eusse sûrement pas voulu moi-même et que, si je l’avais voulu, cela n’aurait servi à rien, parce qu’en réalité je n’aurais su vers quelle forme évoluer. Le principal, enfin, c’est que cela devait arriver d’après les lois normales et fondamentales de la conscience hypertrophiée et de l’inertie, comme la conséquence fatale de ces lois, d’où il suit qu’on ne peut se transformer et qu’il n’y a rien à faire. Alors, selon cette conscience hypertrophiée, on a raison d’être une canaille, comme si cela devait soulager la canaille de bien se sentir une canaille. Mais assez ! J’ai beaucoup parlé et qu’ai-je expliqué ? Comment expliquer cette jouissance ? Mais je le ferai ; j’en viendrai à bout ! C’est dans ce but que j’ai pris la plume…

Voyons… J’ai énormément d’amour-propre. Je suis susceptible et je m’offense aussi facilement qu’un bossu ou qu’un nain, et cependant, par moments, j’aurais peut-être été enchanté de recevoir un soufflet. Je parle sérieusement. J’aurais sans doute su y trouver une sorte de délice, la délectation du désespoir. Il est indubitable que c’est le désespoir qui nous procure les voluptés les plus intenses, surtout si nous avons la conscience inté-