Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/22

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grale d’une situation sans issue. Tel est le cas où l’on a reçu un soufflet : on est écrasé par l’idée de cette humiliation absolue. D’autant plus que j’ai beau me raisonner, je me sens toujours le premier coupable et, ce qui me vexe encore davantage, je suis coupable, non de propos délibéré, mais de par la loi de nature. D’abord je suis coupable parce que je suis plus intelligent que tous ceux qui m’entourent. (Je me suis toujours considéré comme plus intelligent que ceux qui m’entouraient et parfois, le croiriez-vous ? je m en suis trouvé tout confus. J’ai passé ma vie à regarder les gens de côté ; jamais je n’ai pu voir les hommes de face.)

Je suis aussi coupable en ce que, si réellement je possédais quelque générosité, je ne ferais que souffrir davantage à l’idée de son inutilité. Bien sûr que je n’en saurais rien faire : ni pardonner, l’offenseur m’ayant peut-être frappé de par les lois de nature au regard desquelles le pardon n’existe pas ; ni oublier, car, bien que victime des lois de nature, je n’en serais pas moins offensé.

Enfin, si j’avais voulu agir à l’encontre de la générosité et me venger de mon insulteur, cela m’eut été de toute impossibilité, car il est certain que je n’aurais pas su prendre un parti, quand même je l’aurais voulu. Pourquoi n’aurais-je pu me décider ? Je vais en dire deux mots à part.