Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/46

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S’ils paraissent moins remarquables, c’est que leur type se rencontre par trop souvent ; ils sont si communs qu’on n’y fait plus attention. Si la civilisation n’a pas rendu l’homme plus sanguinaire, il l’est au moins devenu plus bassement qu’auparavant. Avant, il croyait juste de verser le sang et massacrait avec une conscience tranquille ceux dont il estimait la disparition nécessaire. Aujourd’hui, nous considérons le fait de verser le sans : comme une infamie, mais nous la commettons volontiers et même plus souvent qu’autrefois. Dites-moi ce qui vaut le mieux ! Décidez vous-mêmes.

On raconte que Cléopâtre (excusez cet exemple tiré de l’Histoire romaine) aimait à enfoncer des épingles d’or dans les seins de ses esclaves et que leurs cris et leurs contorsions lui procuraient une vive jouissance. Vous me direz qu’il s’agit de temps relativement barbares, que les nôtres le sont aussi relativement et que l’on enfonce encore des épingles ; que, si l’homme a acquis plus de discernement que dans les temps barbares, il est encore loin de s’être accoutumé à agir comme le commandent la raison et la science. Quand il en sera là, il cessera d’errer volontairement et, malgré lui, pour ainsi dire, il ne voudra plus séparer sa volonté de son intérêt normal. De plus, vous dites que la science instruira l’homme de par sa force propre (bien que cela m’apparaisse comme une superfétation), qu’il n’a en réalité ni volonté, ni caprice et n’en a jamais