Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/56

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sible. On pourrait dire qu’ils veulent servir de lumière à leur prochain afin de leur prouver, qu’en effet, on peut vivre moralement et avec prudence. Et alors ? C’est un fait avéré que beaucoup de ces philanthropes se démentent tôt ou tard, vers la fin de leur vie, donnant naissance à quelque anecdote, parfois des plus inconvenantes. Je vous le demande maintenant : que peut-on attendre de l’homme, de l’être doué de si étranges propriétés ? Comblez-le de biens, noyez-le dans le bonheur ; donnez-lui une telle satisfaction économique qu’il ne lui reste rien à faire, qu’à dormir, à manger des gâteaux et à songer à ce que l’histoire universelle ne soit pas interrompue, ici encore, par ingratitude, l’homme vous fera des abominations, par méchanceté. Il risquera de perdre ses gâteaux et désirera exprès des absurdités capables de le perdre, des choses insensées et improfitables, uniquement pour ajouter à cette prudence positive un élément destructeur fantastique.

Il veut absolument conserver ses rêves chimériques, sa plate bêtise, à seule fin d’affirmer à soi-même (comme si cela était bien nécessaire) que les hommes sont des hommes, et non des claviers, dont jouent les lois de la nature. Bien plus encore : même dans le cas où il ne serait en effet qu’un clavier, si on le lui prouvait par les sciences naturelles et mathématiques, il ne reviendrait pas quand même à soi, et ferait au contraire quelque chose