Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/76

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cisément parce que j’étais instruit. Mais je ne faisais pas que de le croire, je l’étais en réalité. J’étais lâche et servile. Je le dis sans fausse honte. Chaque homme comme il faut de notre temps est et doit être lâche et servile. C’est son état normal. J’en suis profondément persuadé. Il est ainsi fait et organisé pour cela. Et ce n’est pas à notre époque seulement, par suite de quelques circonstances accidentelles, mais en général, défont temps, que l’homme comme il faut doit être lâche et servile. S’il arrive à l’un d’eux de faire le brave devant quelque chose, qu’il ne s’en console pas et ne s’emporte pas de joie : il lui arrivera également de caner devant quelque autre chose. Voilà l’unique et éternelle issue. Il n’y a que les ânes et Leurs congénères qui fassent les braves ; et encore jusqu’à un certain degré. Cela ne vaut pas la peine de faire attention à eux, parce qu’ils ne signifient rien du tout.

Il y avait encore une circonstance qui me tourmentait : personne ne me ressemblait et je ne ressemblais à personne. « Moi je suis seul, et eux sont tous », pensais-je, et je devenais songeur. Cela montre que j’étais encore un gamin. Il arrivait des choses contraires. Comme le bureau finissait par me dégoûter, il m’arrivait de revenir de mon travail tout malade. Mais soudain, sans rime ni raison, commence une passe de scepticisme et d’indifférence (chez moi tout arrivât