Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/87

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quoi me soumettais-je à cette torture, pourquoi allais-je à la Perspective Nevski ? Je n’en sais rien. Mais j’y étais attiré à la moindre occasion.

Je commençais déjà à éprouver les accès de volupté dont j’ai parlé dans mon premier chapitre. Mais après l’histoire avec l’officier, cela m’attirait encore davantage. Je le rencontrais surtout à la Perspective Nevski, et là je l’admirais. Il y allait surtout les jours de fête. Il cédait bien le chemin aux généraux et aux gens les plus imposants, et passait à travers comme une anguille ; mais quand il s’agissait de gens de ma sorte, ou même un peu mieux, il nous écrasait tout simplement ; il allait tout droit sur eux, comme s’il y avait le vide devant lui, et ne cédait le pas à aucun prix. Je m’enivrais de ma colère en le regardant et… tout en rageant, chaque fois je me détournais devant lui. Je souffrais de ne pouvoir être son égal, même dans la rue. « Pourquoi te détournes-tu toujours le premier ? » me demandais-je dans mon accès de rage, éveillé quelquefois vers deux heures de la nuit. « Pourquoi est-ce toi qui le fais au lieu de lui ? Il n’y a pas de loi qui t’y oblige ; cela n’est écrit nulle part ? Eh bien, que chacun y mettre du sien comme font les gens distingués quand ils se rencontrent : il cédera la moitié et toi aussi, vous passerez, en vous montrant déférents l’un l’autre. » Mais il n’en était pas ainsi, et c’était moi qui cédais le pas ; et lui, il ne s’en