Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/104

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qu’il y ait dans le discours plus de noblesse que de sincérité[1] ; moi, au contraire, j’aime que mon discours ait plus de sincérité que de noblesse, et tant pis pour la noblesse ! N’est-ce pas, von Sohn ? Permettez, Père Abbé, bien que je sois un bouffon et que j’en tienne le rôle, je suis un chevalier de l’honneur, et je tiens à m’expliquer. Oui, je suis un chevalier de l’honneur, tandis que chez Piotr Alexandrovitch il n’y a que de l’amour-propre offensé. Je suis venu ici, voyez-vous, pour observer ce qui s’y passe et vous dire ma façon de penser. Mon fils Alexéi fait son salut chez vous, je suis père, je me préoccupe de son sort et c’est mon devoir. Tandis que je me donnais en représentation, j’écoutais tout, je regardais sans avoir l’air, et maintenant je veux vous offrir le dernier acte de la représentation. D’ordinaire, chez nous, ce qui tombe reste étendu à jamais. Mais MOI, je veux me relever. Mes Pères, je suis indigné de votre façon d’agir. La confession est un grand sacrement que je vénère, devant lequel je suis prêt à me prosterner ; or, là-bas, dans la cellule, tout le monde s’agenouille et se confesse à haute voix. Est-il permis de se confesser à haute voix ? De toute antiquité les saints Pères ont institué la confession auriculaire et secrète. En effet, comment puis-je expliquer devant tout le monde que moi, par exemple, je… ceci et cela, enfin, vous comprenez ? Il est parfois indécent de révéler certaines choses. N’est-ce pas un scandale ? Non, mes Pères, avec vous on peut être entraîné dans la secte des Khlysty[2]… À la première occasion, j’écrirai au Synode ; en attendant je retire mon fils de chez vous. ».

Notez que Fiodor Pavlovitch avait entendu le son de certaines cloches. À en croire des bruits malveillants, parvenus naguère jusqu’à l’oreille des autorités ecclésiastiques, dans les monastères où subsistait cette institution on témoignait aux startsy un respect exagéré, au préjudice de la dignité de l’Abbé ; ils abusaient du sacrement de la confession ; etc. Accusations ineptes, qui tombèrent d’elles-mêmes, chez nous comme partout. Mais le démon, qui s’était emparé de Fiodor Pavlovitch et l’emportait toujours plus loin dans un abîme

  1. En français dans le texte.
  2. La secte des Khrysty (christs), ou par dérision Khlysty (flagellants), est apparue en Russie au XVIIème siècle ; ces sectaires, qui se donnent le nom d’hommes de Dieu, ont eu leurs prophètes en qui ils voient des incarnations divines. Leurs rites secrets, marqués par des accès frénétiques assez analogues à ceux des derviches tourneurs, ont provoqué le surnom donné à la secte.