Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/123

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va pas t’imaginer que je bavarde sous l’empire de l’ivresse. Il me faut deux bouteilles de cognac pour m’enivrer.

Tel Silène vermeil
Sur son âne trébuchant.

Or, je n’ai pas bu un quart de bouteille, et je ne suis pas Silène. Non, pas Silène, mais Hercule, car j’ai pris une résolution héroïque. Pardonne-moi ce rapprochement de mauvais goût ; tu auras bien d’autres choses à me pardonner aujourd’hui. Ne t’inquiète pas, je ne brode pas, je parle sérieusement et vais droit au fait. Je ne serai pas dur à la détente comme un juif. Attends, comment est-ce donc ? »

Il leva la tête, réfléchit, puis commença avec enthousiasme :

Timide, sauvage et nu se cachait
Le Troglodyte dans les cavernes ;
Le nomade errait dans les champs
Et les ravageait ;
Le chasseur avec sa lance et ses flèches,
Terrible, parcourait les forêts ;
Malheur aux naufragés jetés par les vagues
Sur ces rivages inhospitaliers
Des hauteurs de l’Olympe
Descend une mère, Cérès, à la recherche
De Proserpine à son amour ravie ;
Le monde s’étale dans toute son horreur.
Pas d’asile, nulles offrandes
Ne sont présentées à la déesse.
Ici, le culte des dieux
Est ignoré, point de temple.
Les fruits des champs, les grappes douces
N’embellissent aucun festin ;
Seuls fument les restes des victimes
Sur les autels ensanglantés.
Et n’importe où Cérès
Promène son regard éploré,
Partout elle aperçoit
L’homme dans une humiliation profonde.

Des sanglots s’échappèrent de la poitrine de Mitia, il saisit Aliocha par la main. «