Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/164

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alors tant frappé Aliocha, il ne restait qu’une noble énergie, une confiance sereine en soi-même. Au premier regard, aux premières paroles, Aliocha comprit que le tragique de sa situation à l’égard de l’homme qu’elle aimait tant ne lui échappait point et que, peut-être, elle savait déjà tout. Néanmoins, son visage radieux exprimait la foi en l’avenir. Aliocha se sentit coupable envers elle, vaincu et captivé tout ensemble. En outre, il remarqua, à ses premières paroles, qu’elle se trouvait dans une violente agitation, peut-être insolite chez elle, et qui confinait même à l’exaltation.

« Je vous attendais, car c’est de vous seul, à présent, que je puis savoir toute la vérité.

— Je suis venu… bredouilla Aliocha, je… il m’a envoyé.

— Ah ! il vous a envoyé ; eh bien, je le pressentais ! Maintenant, je sais tout, tout ! dit Catherine Ivanovna, les yeux étincelants. Attendez, Alexéi Fiodorovitch, je vais vous dire pourquoi je désirais tant vous voir. J’en sais peut-être plus long que vous-même ; ce ne sont pas des nouvelles que je réclame de vous. Je veux connaître votre dernière impression sur Dmitri, je veux que vous me racontiez le plus franchement, le plus grossièrement que vous pourrez (oh ! ne vous gênez pas), ce que vous pensez de lui maintenant et de sa situation après votre entrevue d’aujourd’hui. Cela vaudra peut-être mieux qu’une explication entre nous deux, puisqu’il ne veut plus venir me voir. Avez-vous compris ce que j’attends de vous ? Maintenant, pour quelle raison vous a-t-il envoyé ; parlez franchement, ne mâchez pas les mots !…

— Il m’a chargé de vous… saluer, de vous dire qu’il ne viendrait plus jamais et de vous saluer.

— Saluer ? Il a dit comme ça, c’est ainsi qu’il s’est exprimé ?

— Oui.

— Il s’est peut-être trompé, par hasard, et n’a pas employé le mot qu’il fallait ?

— Non, il a insisté précisément pour que je vous répète ce mot « saluer ». Il me l’a recommandé trois fois. »

Le sang monta au visage de Catherine Ivanovna.

« Aidez-moi, Alexéi Fiodorovitch, j’ai maintenant besoin de vous. Voici ma pensée, dites-moi si j’ai tort ou raison : s’il vous avait chargé de me saluer à la légère, sans insister sur la transmission du mot, sans le souligner, tout serait fini. Mais s’il a appuyé particulièrement sur ce terme, s’il vous a enjoint de me transmettre ce salut, c’est qu’il était surexcité, hors de lui peut-être. La décision qu’il a