Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/166

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pas de l’amour. Il ne l’épousera pas, car elle ne voudra pas de lui, dit-elle avec le même rire étrange.

— Il l’épousera peut-être, dit tristement Aliocha, les yeux baissés.

— Il ne l’épousera pas, vous dis-je ! Cette jeune fille est un ange ! Le savez-vous, le savez-vous ? s’exclama Catherine Ivanovna avec une chaleur extraordinaire. C’est la plus fantastique des créatures. Elle est séduisante, assurément, mais elle a un caractère noble et bon. Pourquoi me regardez-vous ainsi, Alexéi Fiodorovitch ? Mes paroles vous étonnent, vous ne me croyez pas ? Agraféna Alexandrovna, mon ange, cria-t-elle soudain, les yeux tournés vers la pièce voisine, venez ici, ce gentil garçon est au courant de toutes nos affaires, montrez-vous donc !

— Je n’attendais que votre appel », fit une voix douce et même doucereuse.

La portière se souleva et… Grouchegnka en personne, rieuse, joyeuse, apparut. Aliocha éprouva une commotion ; les yeux fixés sur cette apparition il ne pouvait s’en détacher. « La voilà donc, se disait-il, cette femme redoutable, « ce monstre », comme Ivan l’a appelée il y a une demi-heure ! » Pourtant il avait devant lui l’être le plus ordinaire, le plus simple à première vue, une femme charmante et bonne, jolie, certes, mais ressemblant à toutes les jolies femmes « ordinaires ». À vrai dire, elle était même belle, fort belle, une beauté russe, celle qui suscite tant de passions. La taille assez élevée, sans égaler pourtant Catherine Ivanovna, qui était très grande, forte, avec des mouvements doux et silencieux, comme alanguis dans une douceur en accord avec sa voix. Elle s’avança, non pas comme Catherine Ivanovna, d’un pas ferme et assuré, mais sans bruit. On ne l’entendait pas marcher. Elle s’enfonça dans un fauteuil, avec un bruissement doux de son élégante robe en soie noire, recouvrit frileusement d’un châle de laine son cou blanc comme neige et ses larges épaules. Son visage indiquait juste son âge : vingt-deux ans. Sa peau était très blanche, avec un teint à reflets rose pâle, l’ovale du visage un peu large, la mâchoire inférieure un peu saillante, la lèvre supérieure était mince, celle de dessous qui avançait, deux fois plus forte et comme enflée ; une magnifique chevelure châtain très abondante, des sourcils sombres, d’admirables yeux gris d’azur aux longs cils : le plus indifférent, le plus distrait des hommes, égaré dans la foule, à la promenade, n’eût pas manqué de s’arrêter devant ce visage et de se le rappeler longtemps. Ce qui frappa le