Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/215

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à côté de son père, l’idée était venue soudain à Aliocha que ce devait être le même qui l’avait mordu au doigt, lorsqu’il lui demandait en quoi il l’avait offensé ; il en était maintenant presque sûr, sans savoir encore pourquoi. Ces préoccupations étrangères détournèrent son attention ; il résolut de ne plus « penser » au « mal » qu’il venait de faire, de ne pas se tourmenter par le repentir, mais d’agir ; tant pis pour ce qui pourrait arriver là-bas ! Cette idée lui rendit tout son courage. En entrant dans la ruelle où demeurait Dmitri, il eut faim et tira de sa poche le petit pain qu’il avait pris chez son père. Il le mangea en marchant ; cela le réconforta.

Dmitri n’était pas chez lui. Les maîtres de la maisonnette — un vieux menuisier, sa femme et son fils — regardèrent Aliocha d’un air soupçonneux. « Voilà déjà trois jours qu’il ne passe pas la nuit ici, il est peut-être parti quelque part », répondit le vieux à ses questions. Aliocha comprit qu’il se conformait aux instructions reçues. Lorsqu’il demanda si Dmitri n’était pas chez Grouchegnka, ou de nouveau caché chez Foma (Aliocha parlait ainsi ouvertement à dessein), tous le regardèrent d’un air craintif. « Ils l’aiment donc, ils tiennent son parti, pensa-t-il, tant mieux ! »

Enfin il découvrit dans la rue du Lac la masure de la mère Kalmykov, délabrée et affaissée, avec trois fenêtres sur la rue, une cour sale, au milieu de laquelle se tenait une vache. On entrait par la cour dans le vestibule ; à gauche habitait la vieille propriétaire avec sa fille, également âgée, toutes deux sourdes, à ce qu’il semblait. À la question plusieurs fois répétée : où demeurait le capitaine ? l’une d’elles, comprenant enfin qu’on demandait les locataires, lui désigna du doigt, à travers le vestibule, la porte qui menait à la plus belle pièce de l’izba. L’appartement du capitaine ne consistait en effet qu’en cette pièce. Aliocha avait mis la main sur la poignée afin d’ouvrir la porte, quand il fut frappé par le silence complet qui régnait à l’intérieur. Il savait pourtant, d’après le récit de Catherine Ivanovna, que le capitaine avait de la famille. « Ils dorment tous, sans doute, ou bien ils m’ont entendu venir et ils attendent que j’ouvre — mieux vaut frapper d’abord. » Il frappa. On entendit une réponse, mais au bout de dix secondes seulement.

« Qui est-ce ? » cria une grosse voix irritée.

Aliocha ouvrit, franchit le seuil. Il se trouvait dans une salle assez spacieuse, mais fort encombrée de gens et de hardes. À gauche, il y avait un grand poêle russe. Du poêle à la fenêtre de gauche, une corde tendue à travers toute la