Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/241

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Dois-je entendre que vous consentiez uniquement par pitié pour son état maladif, par crainte de l’irriter en la contredisant ?

— Pas du tout, je lui ai parlé très sérieusement, déclara avec fermeté Aliocha.

— Sérieusement ? C’est impossible. D’abord, ma maison vous sera fermée, ensuite je partirai et je l’emmènerai, sachez-le !

— Mais pourquoi ? dit Aliocha. C’est encore loin, dix-huit mois peut-être à attendre.

— C’est vrai, Alexéi Fiodorovitch, et en dix-huit mois vous pouvez mille fois vous quereller et vous séparer. Mais je suis si malheureuse ! Ce sont des bêtises, d’accord, mais ça m’a consternée. Je suis comme Famoussov dans la scène de la comédie[1] ; vous êtes Tchatski, elle, c’est Sophie. Je suis accourue ici, pour vous rencontrer. Dans la pièce aussi, les péripéties se passent dans l’escalier. J’ai tout entendu, je me contenais à peine. Voilà donc l’explication de cette mauvaise nuit et des récentes crises nerveuses ! L’amour pour la fille, la mort pour la mère ! Maintenant, un second point, essentiel : qu’est-ce que cette lettre que Lise vous a écrite, montrez-la-moi tout de suite !

— Non, à quoi bon ? Donnez-moi des nouvelles de Catherine Ivanovna, cela m’intéresse fort.

— Elle continue à délirer et n’a pas repris connaissance ; ses tantes sont ici à se lamenter, avec leurs grands airs. Herzenstube est venu, il a tellement pris peur que je ne savais que faire, je voulais même envoyer chercher un autre médecin. On l’a emmené dans ma voiture. Et pour m’achever, vous voilà avec cette lettre ! Il est vrai que dix-huit mois nous séparent de tout cela. Au nom de ce qu’il y a de plus sacré, au nom de votre starets qui se meurt, montrez-moi cette lettre, à moi la mère. Tenez-la, si vous voulez, je la lirai à distance.

— Non, je ne vous la montrerai pas, Catherine Ossipovna ; même si elle me le permettait, je refuserais. Je viendrai demain, et nous causerons, si vous voulez. Maintenant, adieu. »

Et Aliocha sortit précipitamment.

  1. Trop d’esprit nuit, Griboïédov (1824)