Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Dans de superbes autodafés
On brûlait d’affreux hérétiques[1]

« Oh ! ce n’est pas ainsi qu’il a promis de revenir, à la fin des temps, dans toute sa gloire céleste, subitement, « tel un éclair qui brille de l’Orient à l’Occident[2] ». Non, il a voulu visiter ses enfants, au lieu où crépitaient précisément les bûchers des hérétiques. Dans sa miséricorde infinie, il revient parmi les hommes sous la forme qu’il avait durant les trois ans de sa vie publique. Le voici qui descend vers les rues brûlantes de la ville méridionale, où justement, la veille, en présence du roi, des courtisans, des chevaliers, des cardinaux et des plus charmantes dames de la cour, le grand inquisiteur a fait brûler une centaine d’hérétiques ad majorem Dei gloriam. Il est apparu doucement, sans se faire remarquer, et — chose étrange — tous le reconnaissent. Ce serait un des plus beaux passages de mon poème que d’en expliquer la raison. Attiré par une force irrésistible, le peuple se presse sur son passage et s’attache à ses pas. Silencieux, il passe au milieu de la foule avec un sourire d’infinie compassion. Son cœur est embrasé d’amour, ses yeux dégagent la Lumière, la Science, la Force, qui rayonnent et éveillent l’amour dans les cœurs, Il leur tend les bras, Il les bénit, une vertu salutaire émane de son contact et même de ses vêtements. Un vieillard, aveugle depuis son enfance, s’écrie dans la foule : « Seigneur, guéris-moi, et je te verrai. » Une écaille tombe de ses yeux et l’aveugle voit. Le peuple verse des larmes de joie et baise la terre sur ses pas. Les enfants jettent des fleurs sur son passage ; on chante, on crie : « Hosanna ! » C’est lui, ce doit être Lui, s’écrie-t-on, ce ne peut être que Lui ! Il s’arrête sur le parvis de la cathédrale de Séville au moment où l’on apporte un petit cercueil blanc où repose une enfant de sept ans, la fille unique d’un notable. La morte est couverte de fleurs. « Il ressuscitera ton enfant », crie-t-on dans la foule à la mère en larmes. L’ecclésiastique venu au-devant du cercueil regarde d’un air perplexe et fronce le sourcil. Soudain un cri retentit, la mère se jette à ses pieds : « Si c’est Toi, ressuscite mon enfant ! » et elle lui tend les bras. Le cortège s’arrête, on dépose le cercueil sur les dalles. Il le contemple avec pitié, sa bouche profère doucement une fois encore : «

  1. Poléjaïev, Coriolan, ch. I, st.4.
  2. Matthieu, XXIV, 27.