Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/292

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ait la peau rougie et même enflée. Puis elle lui donne à boire le reste du flacon, en récitant une prière. Elle en prend elle-même un peu. Tous deux, n’ayant pas l’habitude de boire, tombent sur place et s’endorment d’un profond sommeil qui dure longtemps. Au réveil, Grigori Vassiliévitch est presque toujours guéri, tandis que sa femme a la migraine. De sorte que si demain Marthe Ignatièvna met son projet à exécution, ils n’entendront guère Dmitri Fiodorovitch et le laisseront entrer. Ils dormiront.

— Tu radotes. Tout s’arrangera comme exprès : toi tu auras ta crise, les autres seront endormis. C’est à croire que tu as des intentions… s’exclama Ivan Fiodorovitch en fronçant le sourcil.

— Comment pourrais-je arranger tout cela… et à quoi bon, alors que tout dépend uniquement de Dmitri Fiodorovitch ?… S’il veut agir, il agira, sinon je n’irai pas le chercher pour le pousser chez son père.

— Mais pourquoi viendrait-il, et en cachette encore, si Agraféna Alexandrovna ne vient pas, comme tu le dis toi-même, poursuivit Ivan Fiodorovitch pâle de colère. Moi aussi, j’ai toujours pensé que c’était une fantaisie du vieux, que jamais cette créature ne viendrait chez lui. Pourquoi donc Dmitri forcerait-il la porte ? Parle, je veux connaître ta pensée.

— Vous savez vous-même pourquoi il viendra, que vous importe ce que je pense ? Il viendra par animosité ou par défiance, si je suis malade, par exemple ; il aura des doutes et voudra explorer lui-même l’appartement, comme hier soir, voir si elle ne serait pas entrée à son insu. Il sait aussi que Fiodor Pavlovitch a préparé une grande enveloppe contenant trois mille roubles, scellée de trois cachets et nouée d’un ruban. Il a écrit de sa propre main : « Pour mon ange, Grouchegnka, si elle veut venir. » Trois jours après, il a ajouté : « Pour ma poulette. »

— Quelle absurdité ! s’écria Ivan Fiodorovitch hors de lui. Dmitri n’ira pas voler de l’argent et tuer son père en même temps. Hier, il aurait pu le tuer comme un fou furieux à cause de Grouchegnka, mais il n’ira pas voler.

— Il a un extrême besoin d’argent, Ivan Fiodorovitch. Vous ne pouvez même pas vous en faire une idée, expliqua Smerdiakov avec un grand calme et très nettement. D’ailleurs, il estime que ces trois mille roubles lui appartiennent et m’a déclaré : « Mon père me redoit juste trois mille roubles. » De plus, Ivan Fiodorovitch, considérez ceci : il est