subit s’était opéré en Smerdiakov. Sa familiarité nonchalante avait disparu ; tout son visage exprimait une attention et une attente extrêmes, bien que timides et serviles. « N’ajouteras-tu rien ? » lisait-on dans son regard fixé sur Ivan Fiodorovitch.
« Est-ce qu’on ne me rappellerait pas aussi de Tchermachnia, s’il arrivait quelque chose ? s’écria Ivan Fiodorovitch, élevant la voix sans savoir pourquoi.
— À Tchermachnia aussi on vous avisera… murmura Smerdiakov à voix basse, sans cesser de regarder Ivan dans les yeux.
— Seulement Moscou est loin, Tchermachnia est près ; regrettes-tu les frais du voyage, que tu insistes pour Tchermachnia, ou me plains-tu d’avoir à faire un grand détour ?
— Tout juste », murmura Smerdiakov, d’une voix mal assurée et avec un sourire vil, s’apprêtant de nouveau à bondir en arrière.
Mais, à sa grande surprise, Ivan Fiodorovitch éclata de rire. La porte passée, il riait encore. Qui l’eût observé en cet instant n’aurait pas attribué ce rire à la gaieté. Lui-même n’aurait pu expliquer ce qu’il éprouvait. Il marchait machinalement.
VII
Il y a plaisir à causer avec un homme d’esprit
Il parlait de même. Rencontrant Fiodor Pavlovitch au salon, il lui cria en gesticulant : « Je monte chez moi, je n’entre pas chez vous… au revoir ! » Et il passa en évitant de regarder son père. Sans doute, son dégoût pour le vieux l’emporta en cet instant, mais cette animosité manifestée avec un tel sans-gêne surprit Fiodor Pavlovitch lui-même. Il avait évidemment quelque chose de pressé à dire à son fils et était venu à sa rencontre dans cette intention ; à ce gracieux accueil, il se tut et le suivit d’un regard ironique jusqu’à ce qu’il eût disparu.
« Qu’a-t-il donc ? demanda-t-il à Smerdiakov qui survenait.
— Il est fâché, Dieu sait pourquoi, répondit évasivement Smerdiakov.