Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ivan Fiodorovitch sortit ainsi sur le palier. Vers deux heures, quand tout fut calme, il se coucha, avide de sommeil, car il se sentait exténué. En vérité, il s’endormit profondément, sans rêves, et quand il se réveilla, il faisait déjà jour. En ouvrant les yeux, il fut surpris de se sentir une énergie extraordinaire, se leva, s’habilla rapidement, et se mit à faire sa malle. Justement, la blanchisseuse lui avait rapporté son linge et il souriait en pensant que rien ne s’opposait à son brusque départ. Il était brusque, en effet. Bien qu’Ivan Fiodorovitch eût déclaré la veille à Catherine Ivanovna, à Aliocha, à Smerdiakov, qu’il partait le lendemain pour Moscou, il se rappelait qu’en se mettant au lit il ne pensait pas à partir ; du moins il ne se doutait pas qu’en se réveillant il commencerait par faire sa malle. Enfin, elle fut prête, ainsi que son sac de voyage ; il était déjà neuf heures lorsque Marthe Ignatièvna vint lui demander comme d’habitude : « Prendrez-vous le thé chez vous, ou descendrez-vous ? » Il descendit presque gai, bien que ses paroles et ses gestes trahissent une certaine agitation.

Il salua affablement son père, s’informa même de sa santé, mais sans attendre sa réponse, lui déclara qu’il partait dans une heure pour Moscou, et pria qu’on commandât des chevaux. Le vieillard l’écouta sans le moindre étonnement, négligea même de prendre par convenance un air affligé ; en revanche, il se trémoussa, se rappelant fort à propos une affaire importante pour lui.

« Ah ! comme tu es bizarre ! Tu ne m’as rien dit hier. N’importe, il n’est pas trop tard. Fais-moi un grand plaisir, mon cher, passe par Tchermachnia. Tu n’as qu’à tourner à gauche à la station de Volovia, une douzaine de verstes au plus, et tu y es.

— Excusez, je ne puis ; il y a quatre-vingts verstes jusqu’à la station, le train de Moscou part à sept heures du soir, j’ai juste le temps.

— Tu as bien le temps de regagner Moscou ; aujourd’hui va à Tchermachnia. Qu’est-ce que ça te coûte de tranquilliser ton père ? Si je n’étais pas occupé, j’y serais allé moi-même depuis longtemps, car l’affaire est urgente, mais… ce n’est pas le moment de m’absenter… Vois-tu, je possède des bois, en deux lots, à Béguitchev et à Diatchkino, dans les landes. Les Maslov, père et fils, des marchands, n’offrent que huit mille roubles pour la coupe ; l’année dernière, il s’est présenté un acheteur, il en donnait douze mille, mais il n’est pas d’ici, note bien. Car il n’y a pas preneur chez les gens d’ici. Les Maslov, qui ont des centaines de mille roubles, font