Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/369

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pas pour toi, Rakitine, tu n’es qu’un pauvre sire, mais pour lui. Je n’ai pas le cœur à ça ; mais n’importe, je veux boire avec vous.

— Quelle est donc cette « nouvelle » ? peut-on le savoir, est-ce un secret ? insista Rakitine, sans prendre garde en apparence aux brocards qu’on lui lançait.

— Un secret dont tu es au courant, dit Grouchegnka d’un air préoccupé : mon officier arrive.

— Je l’ai entendu dire, mais est-il si proche ?

— Il est maintenant à Mokroïé, d’où il enverra un exprès ; je viens de recevoir une lettre. J’attends.

— Tiens ! Pourquoi à Mokroïé ?

— Ce serait trop long à raconter ; en voilà assez.

— Mais alors, et Mitia, le sait-il ?

— Il n’en sait pas le premier mot. Sinon, il me tuerait. D’ailleurs, je n’ai plus peur de lui, maintenant. Tais-toi, Rakitka, que je n’entende plus parler de lui ; il m’a fait trop de mal. J’aime mieux songer à Aliocha, le regarder… Souris donc, mon chéri, déride-toi tu me feras plaisir… Mais il a souri ! Vois comme il me regarde d’un air caressant. Sais-tu, Aliocha, je croyais que tu m’en voulais à cause de la scène d’hier, chez cette demoiselle. J’ai été rosse… Pourtant, c’était réussi, en bien et en mal, dit Grouchegnka pensivement, avec un sourire mauvais, Mitia m’a dit qu’elle criait : « Il faut la fouetter ! » Je l’ai gravement offensée. Elle m’a attirée, elle a voulu me séduire avec son chocolat… Non, ça s’est bien passé comme ça. » Elle sourit de nouveau. « Seulement, je crains que tu ne sois fâché…

— En vérité, Aliocha, elle te craint, toi, le petit poussin, intervint Rakitine avec une réelle surprise.

— C’est pour toi, Rakitine, qu’il est un petit poussin, car tu n’as pas de conscience. Moi, je l’aime. Le crois-tu, Aliocha, je t’aime de toute mon âme.

— Ah ! l’effrontée ! Elle te fait une déclaration, Aliocha.

— Eh bien quoi, je l’aime.

— Et l’officier ? Et l’heureuse nouvelle de Mokroïé ?

— Ce n’est pas la même chose.

— Voilà la logique des femmes !

— Ne me fâche pas, Rakitine. Je te dis que ce n’est pas la même chose. J’aime Aliocha autrement. À vrai dire, Aliocha, j’ai eu de mauvais desseins à ton égard. Je suis vile, je suis violente ; mais à certains moments je te regardais comme ma conscience. Je me disais : « Comme il doit me mépriser, maintenant ! » J’y pensais avant-hier en me sauvant de chez