Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/49

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dame Khokhlakov, propriétaire à Kharkhov, qui veut le consulter pour sa fille atteinte de consomption. Il a dû lui promettre de venir, bien que ces derniers temps il soit très faible et ne se montre guère.

— Il y a donc à l’ermitage une porte entrebâillée du côté des dames. Honni soit qui mal y pense, mon père ! Au mont Athos, vous devez le savoir, non seulement les visites féminines ne sont pas admises, mais on ne tolère aucune femme ni femelle, ni poule, ni dinde, ni génisse.

— Fiodor Pavlovitch, je vous laisse, on va vous mettre à la porte, c’est moi qui vous le prédis.

— En quoi est-ce que je vous gêne, Piotr Alexandrovitch ?… Regardez donc, s’exclama-t-il soudain, une fois l’enceinte franchie, regardez dans quelle vallée de roses ils habitent. »

Effectivement, bien qu’il n’y eût pas alors de roses, on apercevait une profusion de fleurs d’automne, magnifiques et rares. Une main expérimentée devait en prendre soin. Il y avait des parterres autour des églises et entre les tombes. Des fleurs aussi entouraient la maisonnette en bois, un rez-de-chaussée précédé d’une galerie, où se trouvait la cellule du starets.

« En était-il de même du temps du précédent starets, Barsanuphe ? On dit qu’il n’aimait pas l’élégance, qu’il s’emportait et battait même les dames à coups de canne ? s’enquit Fiodor Pavlovitch en montant le perron.

— Si le starets Barsanuphe paraissait parfois avoir perdu la raison, on raconte aussi bien des sottises sur son compte ; il n’a jamais battu personne à coups de canne, répondit le moine… Maintenant, messieurs, une minute, je vais vous annoncer.

— Fiodor Pavlovitch, pour la dernière fois, rappelez-vous nos conditions. Comportez-vous bien, sinon gare à vous ! murmura encore une fois Mioussov.

— Je voudrais bien savoir ce qui vous émeut pareillement, insinua Fiodor Pavlovitch, railleur ; ce sont vos péchés qui vous effraient ? On dit que rien qu’au regard il devine à qui il a affaire. Mais comment pouvez-vous faire un tel cas de leur opinion, vous, un Parisien, un progressiste ? Vous me stupéfiez, vraiment ! »

Mioussov n’eut pas le loisir de répondre à ce sarcasme, car on les pria d’entrer. Il éprouva une légère irritation. « Eh bien ! je le sais d’avance, énervé comme je suis, je vais discuter, m’échauffer… m’abaisser, moi et mes idées », se dit-il.