Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/60

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mal effectuées, sans aucune aide médicale ; en outre, du désespoir, des mauvais traitements, etc., ce que certaines natures féminines ne peuvent endurer, malgré l’exemple général. La guérison étrange et subite d’une possédée en proie aux convulsions, dès qu’on l’approchait des saintes espèces, guérison attribuée alors à la simulation et, de plus, à un truc employé pour ainsi dire par les « cléricaux » eux-mêmes, s’effectuait probablement aussi de la façon la plus naturelle. Les femmes qui conduisaient la malade, et surtout elle-même, étaient persuadées, comme d’une vérité évidente, que l’esprit impur qui la possédait ne pourrait jamais résister à la présence du Saint-Sacrement devant lequel on inclinait la malheureuse. Aussi, chez une femme nerveuse, atteinte d’une affection psychique, il se produisait toujours (et cela devait être) comme un ébranlement nerveux de tout l’organisme, ébranlement causé par l’attente du miracle de la guérison et par la foi absolue en son accomplissement. Et il s’accomplissait, ne fût-ce que pour une minute. C’est ce qui eut lieu dès que le starets eut recouvert la malade de l’étole.

Beaucoup des femmes qui se pressaient autour de lui versaient des larmes d’attendrissement et d’enthousiasme ; d’autres s’élançaient pour baiser ne fût-ce que le bord de son habit, quelques-unes se lamentaient. Il les bénissait toutes et conversait avec elles. Il connaissait déjà la possédée, qui habitait un village à une lieue et demie du monastère ; ce n’était pas la première fois qu’on la lui amenait.

« En voilà une qui vient de loin ! » dit-il en désignant une femme encore jeune, mais très maigre et défaite, le visage plutôt noirci que hâlé. Elle était à genoux et fixait le starets d’un regard immobile. Son regard avait quelque chose d’égaré.

« Je viens de loin, mon Père, de loin, à trois cents verstes d’ici. De loin, mon Père, de loin », répéta la femme comme un refrain, balançant la tête de droite à gauche, la joue appuyée sur la paume de sa main. Elle parlait comme en se lamentant. Il y a dans le peuple une douleur silencieuse et patiente : elle rentre en elle-même et se tait. Mais il y en a une autre qui éclate : elle se manifeste par les larmes et se répand en lamentations, surtout chez les femmes. Elle n’est pas plus légère que la douleur silencieuse. Les lamentations n’apaisent qu’en rongeant et en déchirant le cœur. Une pareille douleur ne veut pas de consolations, elle se repaît de l’idée d’être inextinguible. Les lamentations ne sont que le besoin d’irriter davantage la plaie.