Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/87

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en public, pour la seule raison que cet homme est secrètement chargé de mes intérêts dans une certaine affaire.

— Mensonge que tout cela ! L’apparence est vérité, le fond mensonge ! dit Dmitri Fiodorovitch tremblant de colère. Mon père, je ne justifie pas ma conduite ; oui, j’en conviens publiquement, j’ai été brutal envers ce capitaine, maintenant je le regrette et ma brutalité me fait horreur, mais ce capitaine, votre chargé d’affaires, est allé trouver cette personne que vous traitez de sirène, et lui a proposé de votre part d’endosser mes billets à ordre, qui sont en votre possession, afin de me poursuivre et de me faire arrêter, au cas où je vous serrerais de trop près à propos de notre règlement de comptes. Si vous voulez me jeter en prison, c’est uniquement par jalousie vis-à-vis d’elle, parce que vous-même vous avez commencé à tourner autour de cette femme — je suis au courant de tout –, elle n’a fait qu’en rire, vous entendez, et c’est en se moquant de vous qu’elle l’a répété. Tel est, mes Révérends Pères, cet homme, ce père qui reproche à son fils son inconduite. Vous qui en êtes témoins, pardonnez-moi ma colère, mais je pressentais que ce perfide vieillard nous avait tous convoqués ici pour provoquer un esclandre. J’étais venu dans l’intention de lui pardonner, s’il m’avait tendu la main, de lui pardonner et de lui demander pardon ! Mais comme il vient d’insulter non seulement moi, mais la jeune fille la plus noble, dont je n’ose prononcer le nom en vain, par respect pour elle, j’ai décidé de le démasquer publiquement, bien qu’il soit mon père. »

Il ne put continuer. Ses yeux étincelaient, il respirait avec difficulté. Tous les assistants étaient émus, excepté le starets ; tous s’étaient levés avec agitation. Les religieux avaient pris un air sévère, mais attendaient la volonté de leur vieux maître. Ce dernier était pâle, non d’émotion, mais de faiblesse maladive. Un sourire suppliant se dessinait sur ses lèvres — il levait parfois la main comme pour arrêter ces forcenés. Il eût pu, d’un seul geste, mettre fin à la scène ; mais le regard fixe, il cherchait, semblait-il, à comprendre un point qui lui échappait. Enfin, Piotr Alexandrovitch se sentit définitivement atteint dans sa dignité.

« Nous sommes tous coupables du scandale qui vient de se dérouler, déclara-t-il avec passion ; mais je ne prévoyais pas tout cela en venant ici ! Je savais pourtant à qui j’avais affaire… Il faut en finir sans plus tarder. Mon Révérend Père, soyez certain que je ne connaissais pas exactement tous les détails révélés ici ; je ne voulais pas y croire. Le père est