Nous avons trouvé le domestique Smerdiakov dans son lit, sans connaissance, en proie à une violente crise d’épilepsie, la dixième peut-être depuis la veille. Le médecin qui nous accompagnait a déclaré, après avoir examiné le malade, qu’il ne passerait peut-être pas la nuit.
— Alors, c’est le diable qui a tué mon père ! laissa échapper Mitia, comme si son dernier doute disparaissait.
— Nous reviendrons là-dessus, conclut Nicolas Parthénovitch ; veuillez continuer votre déposition. »
Mitia demanda à se reposer, ce qui lui fut accordé avec courtoisie. Ensuite il reprit son récit, mais ce fut avec une peine visible. Il était las, froissé, ébranlé moralement. De plus, le procureur, comme à dessein, l’irritait à chaque instant en s’arrêtant à des « minuties ». Mitia finissait de décrire comment à califourchon sur la palissade, il avait frappé d’un coup de pilon à la tête Grigori, cramponné à sa jambe gauche, puis sauté auprès du blessé, lorsque le procureur le pria d’expliquer avec plus de détails comment il se tenait sur la palissade. Mitia s’étonna.
« Eh bien, j’étais assis comme ça, à cheval, une jambe de chaque côté…
— Et le pilon ?
— Je l’avais à la main.
— Il n’était pas dans votre poche ? Vous vous rappelez ce détail ? Vous avez dû frapper de haut.
— C’est probable. Pourquoi cette remarque ?
— Si vous vous placiez sur votre chaise comme alors sur la palissade, pour bien nous montrer comment et de quel côté vous avez frappé ?
— Est-ce que vous ne vous moquez pas de moi ? » demanda Mitia en toisant l’interrogateur ; mais celui-ci ne broncha pas.
Mitia se mit à cheval sur la chaise et leva le bras :
« Voilà comment j’ai frappé ! Comment j’ai tué ! Êtes-vous satisfaits ?
— Je vous remercie. Ne voulez-vous pas nous expliquer maintenant pourquoi vous avez de nouveau sauté dans le jardin, dans quelle intention ?
— Eh diable ! pour voir le blessé… Je ne sais pas pourquoi !
— Dans un trouble pareil et en train de fuir ?
— Oui, dans un trouble pareil et en train de fuir.
— Vous vouliez lui venir en aide ?
— Oui, peut-être, je ne me rappelle pas.
— Vous ne vous rendiez pas compte de vos actes ?