Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/119

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— Oh ! je m’en rendais bien compte. Je me rappelle les moindres détails. J’ai sauté pour voir et j’ai essuyé son sang avec mon mouchoir.

— Nous avons vu votre mouchoir. Vous espériez ramener le blessé à la vie ?

— Je ne sais pas… Je voulais simplement m’assurer s’il vivait encore.

— Ah ! vous vouliez vous assurer ? Eh bien ?

— Je ne suis pas médecin, je ne pus en juger. Je m’enfuis en pensant l’avoir tué.

— Très bien, je vous remercie. C’est tout ce qu’il me fallait. Veuillez continuer. »

Hélas ! Mitia n’eut pas l’idée de raconter — il s’en souvenait pourtant — qu’il avait sauté par pitié et prononcé des paroles de compassion devant sa victime : « Le vieux a son compte ; tant pis, qu’il y reste ! » Le procureur en conclut que l’accusé avait sauté « en un tel moment et dans un trouble pareil » seulement pour s’assurer si l’unique témoin de son crime vivait encore. Quels devaient donc être l’énergie, la résolution, le sang-froid de cet homme, etc. Le procureur était satisfait : « J’ai exaspéré cet homme irritable avec des minuties et il s’est trahi. »

Mitia poursuivit péniblement. Cette fois, ce fut Nicolas Parthénovitch qui l’interrompit :

« Comment avez-vous pu aller chez la domestique Fédossia Marcovna avec les mains et le visage ensanglantés ?

— Mais je ne m’en doutais pas.

— C’est vraisemblable, cela arrive, dit le procureur en échangeant un coup d’œil avec Nicolas Parthénovitch.

— Vous avez raison, procureur », approuva Mitia.

Ensuite, il raconta sa décision de « s’écarter », de « laisser le chemin libre aux amants ».

Mais il ne put se résoudre, comme tout à l’heure, à étaler ses sentiments, parler de « la reine de son cœur ». Cela lui répugnait devant ces êtres froids. Aussi, aux questions réitérées, il répondit laconiquement :

« Eh bien, j’avais résolu de me tuer. À quoi bon vivre ? L’ancien amant de Grouchegnka, son séducteur venait, après cinq ans, réparer sa faute en l’épousant. Je compris que tout était fini pour moi… Derrière moi la honte, et puis ce sang, le sang de Grigori. Pourquoi vivre ? J’allai dégager mes pistolets afin de me loger une balle dans la tête, à l’aube…

— Et, cette nuit, une fête à tout casser.

— Vous l’avez dit. Que diable, messieurs, finissons-en plus