Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/159

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compte de ses sentiments. En revanche, les deux « mioches » l’adoraient. Mais cette fois-ci il ne s’agissait pas de jeux ; il avait à s’occuper d’une affaire très importante et quasi mystérieuse. Cependant, le temps passait et Agathe, à qui on aurait pu confier les enfants, ne daignait pas rentrer du marché. Plusieurs fois il avait traversé le vestibule, ouvert la porte de la locataire, observé avec sollicitude les mioches en train de lire sur son injonction ; chaque fois qu’il se montrait, les enfants lui adressaient un large sourire, s’attendant à le voir entrer et faire quelque drôlerie. Mais Kolia était soucieux et n’entrait pas. Enfin, onze heures sonnèrent et il décida fermement que si, dans dix minutes, la « maudite » Agathe n’était pas de retour, il sortirait sans l’attendre, bien entendu après avoir fait promettre aux « mioches » de ne pas avoir peur en son absence, de ne pas faire de bêtises, de ne pas pleurnicher. Dans ces dispositions il mit son petit pardessus ouaté, jeta son sac sur son épaule et, bien que sa mère lui eût maintes fois enjoint de ne jamais sortir « par un froid pareil » sans mettre ses caoutchoucs, il se contenta de leur jeter un regard dédaigneux en passant dans le vestibule. Carillon, le voyant habillé pour sortir, battit le plancher de sa queue en se trémoussant et allait même pousser un gémissement plaintif, mais Kolia jugea une telle ardeur contraire à la discipline : il tint le caniche encore une minute sous le banc et ne le siffla qu’en ouvrant la porte du vestibule. La bête s’élança comme une folle et se mit à gambader de joie. Kolia alla voir ce que faisaient les « mioches ». Ils avaient cessé de lire et discutaient avec animation, comme ça leur arrivait fréquemment ; Nastia, en qualité d’aînée, l’emportait toujours, et si Kostia ne se rangeait pas à son avis, il en appelait presque toujours à Kolia Krassotkine, dont la sentence était définitive pour les deux parties. Cette fois, la discussion des « mioches » avait quelque intérêt pour Kolia qui resta sur le seuil à écouter, ce que voyant, les enfants redoublèrent d’ardeur dans leur controverse.

« Jamais, jamais je ne croirai, soutenait Nastia, que les sages-femmes trouvent les petits enfants dans les choux. Nous sommes en hiver, il n’y a pas de choux et la bonne femme n’a pas pu apporter une fillette à Catherine.

— Fi ! murmura Kolia.

— Si elles les apportent de quelque part, c’est seulement à celles qui se marient. »

Kostia fixait sa sœur, écoutait gravement, réfléchissait.