Kolia désigna un paysan de haute taille, en touloupe[1], à l’air bonasse, qui, à côté de sa charrette, se réchauffait en frappant ses mains l’une contre l’autre dans ses mitaines. Sa barbe était couverte de givre.
« Ta barbe est gelée, mon brave, dit Kolia à haute voix et sur un ton taquin, en passant à côté de lui.
— Il y en a bien d’autres de gelées, répliqua l’homme sentencieusement.
— Ne le taquine pas, supplia Smourov.
— Ça ne fait rien, il ne se fâchera pas, c’est un brave homme. Adieu, Mathieu.
— Adieu.
— T’appelles-tu Mathieu pour de bon ?
— Mais oui. Tu ne le savais pas ?
— Non ; j’ai dit ça au hasard.
— Voyez-vous ça ! Tu es peut-être écolier ?
— Tout juste.
— Est-ce qu’on te fouette ?
— Bien sûr.
— Fort ?
— Ça arrive.
— La vie n’est pas gaie, soupira le bonhomme de tout son cœur.
— Adieu, Mathieu.
— Adieu. Tu es un gentil petit gars. »
Les deux garçons continuèrent leur chemin.
« C’est un bon type, dit Kolia à Smourov. J’aime à parler au peuple, à lui rendre justice.
— Pourquoi lui as-tu fait croire qu’on nous fouettait ? demanda Smourov.
— Pour lui faire plaisir.
— Comment ça ?
— Vois-tu, Smourov, je n’aime pas qu’on insiste, quand on ne comprend pas au premier mot. Il y a des choses impossibles à expliquer. Dans l’idée du bonhomme, on doit fouetter les écoliers ; qu’est-ce qu’un écolier qu’on ne fouette pas ? Et si je lui dis que non, ça lui fera de la peine. D’ailleurs, tu ne peux pas comprendre ça. Il faut savoir parler au peuple.
— Seulement, pas de taquineries, je t’en prie, ça ferait encore une histoire, comme avec cette oie.
- ↑ Pelisse en peau de mouton, le poil en dedans.