— Tu as peur ?
— Garde-t’en bien, Kolia, en vérité, j’ai peur. Mon père serait furieux. On m’a expressément défendu de sortir avec toi.
— N’aie crainte, cette fois il n’arrivera rien. Bonjour, Natacha, cria-t-il à une marchande.
— Natacha ? C’est Marie, que je m’appelle, glapit la marchande, une femme encore jeune.
— Va pour Marie. C’est un beau nom ! Adieu, Marie.
— Ah, le polisson ! C’est pas plus haut qu’une botte, et de quoi que ça se mêle !
— Je n’ai pas le temps, tu me conteras ça dimanche prochain, fit Kolia en gesticulant, comme si c’était elle qui l’importunait.
— Et qu’est-ce que je te raconterai dimanche prochain ? C’est toi qui m’as cherché chicane, espèce de morveux ! Tu mérites une bonne fessée, on te connaît, garnement ! »
Un rire s’éleva parmi les marchandes voisines de Marie, quand tout à coup surgit d’une arcade un individu excité, l’air d’un commis de boutique, d’ailleurs étranger à notre ville, vêtu d’un caftan à longues basques, coiffé d’une casquette à visière, encore jeune, les cheveux châtains bouclés, le visage pâle et grêlé. Il paraissait agité sans savoir pourquoi et se mit aussitôt à menacer Kolia du poing.
« J’te connais, hurlait-il, j’te connais ! »
Kolia le dévisagea. Il ne se souvenait pas de s’être chamaillé avec cet homme ; d’ailleurs il avait eu trop souvent des altercations dans la rue pour se les rappeler toutes.
« Tu me connais ? demanda-t-il ironiquement.
— J’te connais, j’te connais ! rabâchait l’individu.
— Tu as bien de la chance. Mais je suis pressé, adieu !
— T’as pas fini de faire l’insolent ? J’te connais, mon gars.
— Si je fais l’insolent, l’ami, ce n’est pas ton affaire ! proféra Kolia en s’arrêtant, les yeux toujours fixés sur lui.
— Comment ça ?
— Comme ça.
— De qui que c’est l’affaire, alors ? Dis voir…
— De Tryphon Nikititch.
— De qui ? »
Le gars, toujours échauffé, fixa Kolia d’un air stupide. Celui-ci le toisa gravement.
« Es-tu allé à l’église de l’Ascension ? demanda-t-il sur un ton impérieux.