Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/175

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Scarabée ? demanda Kolia avec une vive curiosité. Pourquoi comptiez-vous sur moi et non sur un autre ?

— Le bruit a couru que vous le recherchiez et que vous l’amèneriez. Smourov a parlé dans ce sens. Nous nous efforçons tous de faire croire à Ilioucha que Scarabée est vivant, qu’on l’a aperçu. Ses camarades lui ont apporté un levraut, il l’a regardé avec un faible sourire et a demandé qu’on lui rendît la liberté : nous l’avons fait. Son père vient de rentrer avec un tout jeune molosse, il pensait le consoler ainsi, mais je crois que c’est pire…

— Dites-moi encore, Karamazov, son père, quel homme est-ce ? Je le connais, mais que pensez-vous de lui : c’est un bouffon, un pitre ?

— Oh ! non ; il y a des gens à l’âme sensible, mais qui sont comme accablés par le sort. Leur bouffonnerie est une sorte d’ironie méchante envers ceux à qui ils n’osent pas dire la vérité en face, par suite de l’humiliation et de la timidité qu’ils éprouvent depuis longtemps. Croyez, Krassotkine, qu’une pareille bouffonnerie est parfois des plus tragiques. Maintenant, Ilioucha est tout pour lui, et, s’il meurt, le pauvre homme perdra la raison ou se tuera. J’en suis presque sûr, quand je le regarde !

— Je vous comprends, Karamazov, je vois que vous connaissez l’homme.

— En vous voyant avec un chien, j’ai cru que c’était Scarabée.

— Attendez, Karamazov, peut-être retrouverons-nous Scarabée, mais celui-ci c’est Carillon. Je vais le laisser entrer, et peut-être fera-t-il plus plaisir à Ilioucha que le jeune molosse… Attendez, Karamazov, vous allez apprendre quelque chose. Ah ! mon Dieu, à quoi pensais-je ! s’écria tout à coup Kolia. Vous êtes sans pardessus par un froid pareil et moi qui vous retiens ! Voyez comme je suis égoïste ! Nous sommes tous égoïstes, Karamazov !

— Ne vous inquiétez pas ; il fait froid, mais je ne suis pas frileux. Allons, pourtant. À propos, quel est votre nom, je sais seulement que vous vous appelez Kolia.

— Nicolas, Nicolas Ivanovitch Krassotkine, ou, comme on dit administrativement, le fils Krassotkine. »

Kolia sourit, mais ajouta : « Il va sans dire que je déteste mon prénom.

— Pourquoi ?

— Il est banal.

— Vous avez treize ans ? demanda Aliocha.

— Quatorze dans quinze jours. Je dois vous avouer une