Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/176

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faiblesse, Karamazov, comme entrée en matière, pour que vous voyiez d’emblée toute ma nature : je déteste qu’on me demande mon âge… enfin… On me calomnie en disant que j’ai joué au voleur avec les gosses de la préparatoire, la semaine dernière. Je l’ai fait, c’est vrai, mais prétendre que j’ai joué pour mon plaisir, c’est une calomnie. J’ai des raisons de croire que vous en êtes informé ; or, je n’ai pas joué pour moi, mais pour les gosses, car ils ne savent rien imaginer sans moi. Et, chez nous, on raconte toujours des niaiseries. C’est la ville des cancans, je vous assure.

— Et même si vous aviez joué par plaisir, qu’est-ce que ça ferait ?

— Mais voyons, vous ne joueriez pas au cheval fondu ?

— Vous devez vous dire ceci, fit soudain Aliocha : les grandes personnes vont au théâtre, par exemple, où l’on représente aussi les aventures de différents héros, parfois aussi des scènes de brigandage et de guerre ; or, n’est-ce pas la même chose, dans son genre bien entendu ? Et quand les jeunes gens jouent à la guerre ou au voleur, durant la récréation, c’est aussi de l’art naissant, un besoin artistique qui se développe dans les jeunes âmes, et parfois ces jeux sont plus réussis que les représentations théâtrales ; la seule différence, c’est qu’on va au théâtre voir les acteurs, tandis que la jeunesse elle-même joue le rôle d’acteurs. Mais c’est tout naturel.

— Vous croyez, vous en êtes sûr ? dit Kolia en le fixant. Vous avez exprimé une idée assez curieuse ; je vais la ruminer une fois rentré. Je savais bien que l’on peut apprendre quelque chose de vous. Je suis venu m’instruire en votre compagnie, Karamazov, dit Kolia avec expansion.

— Et moi dans la vôtre. »

Aliocha sourit, lui serra la main. Kolia était enchanté d’Aliocha. Ce qui le frappait, c’était de se trouver sur un pied d’égalité parfaite avec ce jeune homme, qui lui parlait comme à « une grande personne ».

« Je vais vous montrer mon numéro, Karamazov, une représentation théâtrale en son genre, dit-il avec un rire nerveux ; c’est pour ça que je suis venu.

— Entrons d’abord à gauche, chez la propriétaire ; vos camarades y ont laissé leurs pardessus, car dans la chambre on est à l’étroit et il fait chaud.