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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/219

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pensait, dit-elle, que vous dormiez, il est venu me demander de vos nouvelles. C’est ça, bien sûr. Seulement Lise, Lise, mon Dieu, quelle peine elle me fait ! Figurez-vous qu’une nuit, c’était il y a quatre jours, après votre visite, elle a eu une crise de nerfs, des cris, des gémissements… Pourquoi n’ai-je jamais de crises de nerfs, moi ? Le lendemain, le surlendemain, nouvelle attaque, et, hier, cette obsession. Elle me crie tout à coup : « Je déteste Ivan Fiodorovitch, j’exige que vous ne le receviez plus, que vous lui interdisiez la maison ! » Je demeurai stupéfaite et lui répliquai : « Pour quelle raison congédier un jeune homme si méritant, si instruit, et de plus si malheureux », car toutes ces histoires, c’est plutôt un malheur qu’autre chose, n’est-ce pas ? Elle éclata de rire à mes paroles, d’une façon blessante. Je fus contente, pensant l’avoir divertie et que les crises cesseraient ; d’ailleurs, je voulais moi-même congédier Ivan Fiodorovitch pour ses étranges visites sans mon consentement et lui demander des explications. Ce matin, voilà qu’à son réveil, Lise s’est fâchée contre Julie et même qu’elle l’a frappée au visage. C’est monstrueux, n’est-ce pas ? Moi qui dis vous à mes femmes de chambre. Une heure après, elle embrassait Julie et lui baisait les pieds. Elle me fit dire qu’elle ne viendrait pas, qu’elle ne voulait plus venir chez moi dorénavant, et lorsque je me traînai chez elle, elle me couvrit de baisers en pleurant, puis me poussa dehors sans dire un mot, de sorte que je n’ai rien pu savoir. Maintenant, cher Alexéi Fiodorovitch, je mets tout mon espoir en vous ; ma destinée est sans doute entre vos mains. Je vous prie d’aller voir Lise, d’élucider tout cela, comme vous seul savez le faire, et de venir me raconter, à moi, la mère ; car, vous comprenez, je mourrai vraiment, si tout cela continue, ou je me sauverai de la maison. Je n’en puis plus ; j’ai de la patience, mais je peux la perdre et alors… alors ce sera terrible. Ah ! mon Dieu, enfin, Piotr Ilitch ! s’écria Mme Khokhlakov, radieuse, en voyant entrer Piotr Ilitch Perkhotine. Vous êtes bien en retard ! Eh bien, asseyez-vous, parlez, que dit cet avocat ? Où allez-vous, Alexéi Fiodorovitch ?

— Chez Lise.

— Ah ! oui. N’oubliez pas, je vous en supplie, ce que je vous ai demandé. Il s’agit de ma destinée !

— Certainement non, si toutefois c’est possible… car je suis tellement en retard, murmura Aliocha en se retirant.

— Non, venez sans faute, et pas « si c’est possible », sinon je mourrai ! » cria derrière lui Mme Khokhlakov.

Aliocha avait déjà disparu.