Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/225

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il n’a confiance en personne. S’il n’a pas confiance, évidemment, il méprise.

— Par conséquent, moi aussi ?

— Vous aussi.

— C’est bien, dit Lise rageuse. Quand il est sorti en riant, j’ai senti que le mépris avait du bon. Avoir les doigts coupés comme cet enfant, c’est bien ; être méprisé, c’est bien également… »

Et elle eut, en regardant Aliocha, un mauvais rire.

« Savez-vous, Aliocha, je voudrais… Sauvez-moi ! » Elle se dressa, se pencha vers lui, l’étreignit. « Sauvez-moi ! gémit-elle. Ai-je dit à quelqu’un au monde ce que je viens de vous dire ? J’ai dit la vérité, la vérité ! Je me tuerai, car tout me dégoûte ! Je ne veux plus vivre ! Tout m’inspire du dégoût, tout ! Aliocha, pourquoi ne m’aimez-vous pas, pas du tout ?

— Mais si, je vous aime ! répondit Aliocha avec chaleur.

— Est-ce que vous me pleurerez ?

— Oui.

— Non parce que j’ai refusé d’être votre femme, mais en général ?

— Oui.

— Merci ! Je n’ai besoin que de vos larmes. Et que les autres me torturent, me foulent au pied, tous, tous, sans excepter personne ! Car je n’aime personne. Vous entendez, per-sonne ! Au contraire, je les hais ! Allez voir votre frère, Aliocha, il est temps ! »

Elle desserra son étreinte.

« Comment vous laisser dans cet état ? proféra Aliocha presque effrayé.

— Allez voir votre frère ; il se fait tard, on ne vous laissera plus entrer. Allez, voici votre chapeau ! Embrassez Mitia, allez, allez ! »

Elle poussa presque de force Aliocha vers la porte. Il la regardait avec une douloureuse perplexité, lorsqu’il sentit dans sa main droite un billet plié, cacheté. Il lut l’adresse : « Ivan Fiodorovitch Karamazov. » Il jeta un coup d’œil rapide à Lise. Elle avait un visage presque menaçant.

« Ne manquez pas de le lui remettre, ordonna-t-elle avec exaltation, toute tremblante, aujourd’hui, tout de suite ! Sinon, je m’empoisonnerai ! C’est pour ça que je vous ai fait venir ! »

Et elle lui claqua la porte au nez. Aliocha mit la lettre dans sa poche et se dirigea vers l’escalier, sans entrer chez Mme Khokhlakov, qu’il avait même oubliée. Dès qu’il se fut éloigné, Lise entrouvrit la porte, mit son doigt dans la fente et le